C'est une question triviale que je me pose en entrant dans le sas.
15 runners. Mais surtout, surtout, des runneuses.
Une bonne quinzaine, peut être plus, si on ne compte pas les resquilleurs, les copines de la copine qui tenait la place "T'as pas vu j'ai mis mon pied".
Départ dans 30 minutes.
Aurai-je le temps.
Dussé-je arroser le martial pavé des Champs Elysée, je me soulagerai avant le coup de feu de dame Hidal-go.
Aso, tu es mignon, un peu plus de cabanons au fond de l'enclos. Tu notes ?
A 9 heures Hélios nargue déjà. Paris dans sa splendeur. Liesse. Bourdonnement des clameurs en mille langues. Athlétique Babel. Les coeurs eux se comprennent.
Visages détendus. On fait mine d'ignorer. 42,195 kilomètres de bitume pavés parcs bois places ronds- points virages berges lignes infinies, tunnels noirs montées criminelles, descentes salvatrices, rien, trous noirs, lumière ligne bleue, ligne bleue, puis délivrance.
Le marathon est une succession de brefs souvenirs sélectifs. Un stroboscope d'émotions. Une partie d'échec contre soi même.
Je piaffe. Racle des sabots. Vrombis.
Pas le temps de me placer devant les meneurs d'allures.
Première tâche du jour, dépasser la plume des 3h45, me placer au large. Ma mission, si je l'accepte, ne jamais me laisser rattraper.
Le marathon c'est un "chat" qui dure quelques heures au fond. Une récréation !
J'avais prévu d'ouvrir les yeux en courant Paris.
Je n'ai pas vu les Champs.
10 mètres de pavés. 20 à tout casser. Je descends sous les 5' au kilomètre. A la Concorde j'ai dépassé le troupeau du berger meneur, je suis dans les cordes. Rivée dans Rivoli, risette à la pucelle, pas de tuile aux tuileries, Louvre y es-tu, Châtelet vers les Halles, ce départ est royal.
Ferveur de Paris. Les vivats augmentent à l'Hôtel de ville, se mêlent déjà à Saint Antoine. Un trait dessiné dans l'histoire de Paris entre Saint Jacques et la prise de la Bastille. Ah ça ira ça ira, ma tête en ce jour sans cesse répète !
J'ai comme une absence. On a collé le bois en lisière du Marais, c'est marrant. Bastille et Vincennes ne font qu'un. C'est Fort !
Je crois qu'on a un peu monté. Oh presque rien. Une pente juste assez fourbe pour que mes pieds ordonnent à ma tête une petite mise en apnée.
Ami coureur, je te recommande l'absence ! C'est pratique. Un peu étrange. Paris en ce 12 avril réserve des surprises : La tour Eiffel par exemple a pris ses jambes à son cou. Je t'assure qu'elle n'y était pas ! Traître.
Le bois de Vincennes est ma demeure. Témoins de mes premiers pas. J'y suis chez moi. Dis bonjour au allées, aux arbres, à l'herbe au ciel bleu et aux sonneurs de trompes.
Avenue de la Gravelle - Tu fais moins la fière vers Paris ! légèrement descendante, vengeance sur le semi !
J'ai le nez dans le chrono. Appliquée à tenir mon allure. J'avais promis du 5'20. Oui mais je suis bien en 5'10 ! Semi. Échauffement terminé. Analyse rapide. Rien à déclarer.
Les bourdons célestes de Notre Dame sonnent à pleine puissance. Que Paris est donc une fête !
Les quais sont envahis. Familles, musiciens. Premier dimanche de vrai grand beau, Paris libéré !
Un crève coeur de plonger. Voies sur berges tant redoutées. Je vais bien. Tout va bien.
Le GPS me perd. Foulées à tâtons. Musiques électriques, concertos classiques, rayons verts, moteurs de monstrueux ventilateurs. Au fond la lumière. Viser la sortie. Il faut ressortir, happer une goulée d'air, faire provision des confettis d'encouragement hurlés en pluie par la foule en grappe accrochée au bastingage, puis replonger. Tunnel, sortie. Alma, 1, 2 3, treizième pilier. La carrosserie tient la route.
Il n'empêche. J'ai perdu ma rétine en sous sol. Je n'ai pas vu la dame de fer.
Rien à faire.
Mais le mur n'y est pas non plus.
Je vogue. Nez dans le bitume. Depuis le départ de course je remonte le courant. Sans cesse en alerte, annonçant d'un mouvement de main mes décrochages droite ou gauche, lançant au train avant mon intention de doubler. Je ne cesse de louvoyer. Accrochant au mieux ma sacro-sainte ligne bleue. Je la perds parfois, la raccroche souvent. Fil d'Ariane de l'Etoile à Foch.
Lulu, ma prunelle, ne fait pas grève. Dépassé la maison de la radio elle est là, mon amie, fidèle au poste. Si je pouvais la porter sur mon dos ! La vie n'est pas vraiment juste.
La faucheuse d'allure persifle dans mes jambes aux abords du périph. L'aiguille flanche. Légèrement. Très légèrement.
Vigilance ! Tu crois quoi ? Un mur au 36. Ridicule !
S'il faut verrouiller, je verrouille. Apnée. Bois de Boulogne. Connais pas. Je ne dis pas bonjour aux allées, ni aux arbres, ni à l'herbe, pas même au ciel bleu et aux sonneuses de trompes !
Dauphine. Obsession.
Pardon aux gens. Pardon les amis qui flanchent. Je passe. Je bouscule un peu. Pardon à toi, arrêté net, juste devant moi. Pardon pour mon mouvement d'humeur. Ce n'était pas moi. C'est mon robot. Celui qui avance tout seul, qui ne réfléchit plus.
On entend la ligne avant de la voir.
Elle enfle, elle ondule et promet mille et une ivresses.
Je connais mon chrono. Il est beau. Bien plus beau que ce que mes prévisions avaient osé avancer.
Je voudrais rembobiner. Je crois ne pas avoir assez gravé.
Souviens toi de la clameur. De tes battements de coeur. Des poings levés.
Fouler le tapis rouge*. Je voudrais tout. Figer le temps, aller plus vite, regarder, rire beaucoup et pleurer un peu.
Personne au bout en particulier mais une capitale à mes pieds.
J'embrasse au hasard
- Ah, mais bonjour monsieur Chauvelier ! ;) -
Titube un peu.
Sonnée à peine.
Heureuse surtout.
3 heures 38 minutes et 55 secondes
Second marathon.
Merci Paris !
* Et sinon pour le petit matos qui va bien, c'est du Errea ( le t-shirt qui a fait ses preuves au marathon de Toulouse ) Asics pour les running qui fendent l'asphalte et Flip-Belt pour la très très girly et ingénieuse ceinture fourre -tout y compris l'AïePhone et la cargaison de gels High5.
* après vérification scrupuleuse et raisonnée, le tapis est vert. On ne peut pas courir et penser aussi…