Pas de bilan, c'en est FFAssez !
J'ai couru -Trop ou pas à satiété , je cours ce que le coeur me dit de courir -
Je retiens de ces heures en baskets
Le froid mordant devenu gazeux au premier effort, les corps fumants et la tête exultant.
Paris en liesse, Paris en pièces.
Trois minutes en suspens, une volonté en miettes.
Un chapelet de minutes lourdes, une myriade d'heures délivrées.
Solitude et amitié.
Bulle protectrice et mains salvatrices.
42,195 km de bonheur pur
Un ruban aqueux, une route, des chemins pièges.
Un petit matin rédempteur
Un stade rouge
des bords de mer au bord des yeux.
Des secondes qui s'égrainent, le temps suspendu
Un ciel étoilé et les deux pieds sur terre.
Le verbe, la vie.
Aimer.
Concrètement.
Sur 14 380 femmes classées en national sur marathon, je suis, selon la FFA, 702 ème.
Enfin, nous sommes 157 féminines classées ex aequo entre la 582 ème place et la 739 ème place -
Ce qui n'est pas si ridicule.
Selon mon temps réel - prend toi un Mojito, un bon fauteuil club et j't'explique la différence là -clic -
J'arrive mano a mano avec une dénommée Flore à la 299 ème place du classement national officieux de la FFA selon moi -naaaan mais! -
Je fais donc le serment solennel.
Et je jure
Sur la tête de mon coach et devant le Dieu Mizuno
Que je vais suer sang et gueuze
pour tutoyer officiellement et selon les stupides règles de la Fédé-qui-m'enlève-neuf-minutes
le top 300 de ce classement.
Je promets aussi
De jubiler
De pester toujours autant
D'être parfois contente de moi
D'avoir moins peur du chemin, de quitter plus souvent l'asphalte.
De regarder devant
D'enjamber les obstacles.
De voir sourire Valérie
De faire courir Daddy.
Soyez prudents ce soir bande de vous.
Parce que mes pieds sont têtus.
jeudi 31 décembre 2015
mardi 8 décembre 2015
A ta Sainté ! - Ou comment j'ai trinqué -
L'oeil vissé sur le halo de la loupiote. Le cercle pâlit doucement et je grommelle.
Changer encore les piles de ma frontale ? S'arrêter. Encore. Sur le bas côté. Encore.
Le jour n'en finit pas de venir. Je veux lever la tête, profiter.
Le petit bois ne m'amuse plus. Concentrée sur chaque parcelle de poussière. Je poursuis mon oeil de lumière depuis plus de 7 heures. A la moindre défaillance de concentration, c'est la cheville qui saute.
Je suis crispée. Nuque tendue comme un arc, les tempes cognent et l'oreille bourdonne.
Pierre, racine, descente dans le vallon. Ruban gras et caillouteux. Trois planches en guise de gué.
Pas de décors. Je cours dans le vide. La nuit place le sentier, un mètre après l'autre et referme l'arrière et les côtés sur ma solitude encombrée et opaque.
Je ne sais plus les bruits. Je ne sais plus les images je ne sais plus comment ni à quel instant précis. Je sais qu'à un moment, j'ai levé la tête.
Et que le jour m'a embrassée.
Il est arrivé, comme arrive une mère au matin d'une nuit de fièvre. Tamisé, doux, silencieux et consolateur. Si soudain pourtant. Peut-être s'était-il annoncé, faisant baisser l'intensité du noir, passant au gris bleuté, ourlé de ciel doré. Rose, jaune ou argenté. Mais je l'ai vu soudainement, sortir du petit bois, et illuminant la crête bordant un champs encore givré. Le croissant de lune fait encore face au soleil pâle. Ces deux là se passent les consignes. Veilleurs de nos vies. Tandis que les étoiles ont déjà filé de l'autre côté du globe.
Je pleure maintenant. En y repensant.
Quel cadeau que le jour !
C'est pourtant la nuit que j'étais venue taquiner.
Cette SaintéLyon attendue depuis 9 mois !
72 km. 1900 D+. Nuit. Froid.
Je m'y inscris avant même de courir mon second marathon à Paris.
Je veux connaitre autre chose que la route. Autre chose que le plat, que le jour, que la course chronométrée et millimétrée. Je veux de l'imprévu, du difficile, de l'adrénaline et du tortueux.
Pas entrainée. Ou si peu. A l'aise sur route, piètre grimpeuse. Mais une tête cabossée, et une brassée de prières à confier au chemin.
Je referme la porte de la maison. L'aventure sera courte mais intense. Maman va courir un peu les enfants. Je reviens vite.
Gare, train. Je somnole. 4 heures vides. Gare, métro. Dossard. Et puis car. Les tâches à accomplir pour arriver au départ s'enchainent. Fluides. Organisées. Pas d'attente, pas d'oubli. Plaisanteries échangées avec le voisin de bus. On se dit qu'on est fada à se faire véhiculer de Lyon à Saint-Etienne le soir venu, pour rallier en sens inverse et à pied, le point du départ qu'on vient de quitter.
Je ne suis pas inquiète. Je ne suis pas euphorique. Je suis posée. Heureuse d'y être. Incapable d'imaginer quoi que ce soit. Les coureurs sont venus en groupes. En couple. Peu d'électron seul et libre. Mais je suis bien dans cette liberté là.
A Saint-Etienne je m'incruste, entre deux traileurs sans domicile fixe pour un temps. Déplie mon mince matelas de mousse. Sors mon bivouac de fortune. La place est de choix. Sous une rampe chauffante. 5 heures à attendre. Hôtel improbable abritant têtes brulées et pieds pas vraiment nickelés.
Mes voisins sont des durs. Ils plaisantent sur leurs aventures passées. L'un a couvert 4 UTMB, l'autre court la Diag' pieds nus. Ici sur la Sainté, c'est un peu risqué. Mais il fera chaud, j'ai pas pris de chaussettes il me dit, bras nus et tête posée sur une bouteille de plastique, à grignoter des graines et mâchouillant de la réglisse.
Je jette un oeil parfois, sur les réseaux sociaux. Marvin, Lyonnais, un passionné, pas encore assez mûr pour se jeter dans le bain, a décidé de passer la nuit à pister une poignée de "Twittos" engagés dans la même galère. Il informe en temps réel notre position, de telle sorte que je retrouve très rapidement Stéphane, puis Florent et Virginie, Marine ensuite, et que nous passons d'inconnus à vieux poteaux, le temps d'un sourire et d'une fourchetée de salade de Pennes aux pignons et tomates séchées.
La Halle-Bivouac est remplie. Bourdonnante. Les visages sont marqués avant même le départ.
Chacun porte sur lui sa carte mémoire de courses. Les impressionnants palmarès côtoient les débutants balbutiants. Nous avons tous un point commun pourtant. Celui d'aimer. D'aimer à en courir, d'aimer la vie même si, elle cogne parfois sans raison et prend d'une main à l'un ce qu'elle donne de l'autre au voisin.
Embrassades et bonne chance. Je lâche mes compagnons pour me glisser dans le rang du départ. Je veux être au plus proche. Je m'attends à devoir traverser une foule compacte. Mais le coureur reste au chaud longtemps, et je gagne les premiers rangs en jouant peu des coudes.
Il me semblait si effrayant ce départ! Et pourtant. Je suis bien. Vraiment bien. Si peu surprise de croiser par hasard dans la foule le regard de David, un autre coureur geek, dont les pirouettes narratives m'amusent sur la toile. Le lien se fait en un selfie. Tapes amicales, les frontales se cognent en mouvements gauches qui trahissent une nervosité non avouée.
Derrière nous l'avenue se remplit. La sono monte le son accélère le tempo, accueille les élites que nous encourageons.
Et puis silence. Mémoire. Applaudissements. Nous allumons nos lampes, plein phare, et monte du flot, sans s'annoncer, une Marseillaise vibrante dont les dernières mesures, décrochées d'un soupir, se fondent dans l'allant de la coulée libérée.
Je file sans surprise et sans peine sur une vitesse croisière de 12 km à l'heure. La sortie de Saint-Etienne se fait en douceur. Il fait déjà chaud, mais c'est une constante dans cette course. Départ bitumé, coup de chaud assumé. Le chemin est vite là. La montée aussi.
Je calme en retrait la vessie qui se prend déjà pour une lanterne à vouloir se manifester dans la nuit et je reprends le train des 6500 mages.
Mythique ruban lumineux. Je suis en voiture de tête et je savoure.
Replat.
Je relance.
Et
La machine vole en éclats.
14 kilomètres.
Stoppée net par des crampes.
Elles crépitent des orteils, remontent les chevilles, grimpent les mollets, s'en vont et reviennent à chacune des pauvres foulées que je tente désespérément de relancer. La marche est mon seul remède.
Je me force au premier ravitaillement surchauffé à avaler une soupe que je bois en marchant.
Je suis une boule de nerfs. Envie de cogner. Je me force à courir. Chaque portion de plat est un calvaire. La marche me refroidit. Je marche plus vite. Les montées me calment: Tous à la même enseigne. Mais chaque kilomètre roulant que je parcours, cahotant, jurant sans ménagement, est une frustration qui me désespère et m'anéantit!
Les descentes, bien pauvres sur cette partie de la course sont des occasions pour accélérer. Mais je suis tellement tendue que je ne prends aucun plaisir. Aucun plaisir.
Mon rêve de Sainté au septième ciel est à des années lumière.
La bataille durera presque 25 bornes.
Je n'ai pas vraiment d'autres souvenirs que ces coups d'épée dans les jambes.
J'ai tout fait.
Rien n'y a fait.
Je n'ai pas regardé la nuit. Tout au plus ce ciel étoilé auquel je m'accrochais.
Maudissant ces coureurs qui avaient l'outrecuidance de courir et pire! de me doubler!
Quel intérêt.
Celui de souffrir. D'arriver en marchant. Je ne suis pas venue pour ça.
L'intérêt est venue d'une main. Posée sur mon épaule.
Un coureur qui s'arrête. Un mot. Me tend une pastille. Un je ne sais quoi. Placebo ou perlimpinpin. Mais il me la tend. Et prend de son temps, pour faire avancer le mien.
Le corps est une machine étrange me dit-il. Qui passe de trépas à vie en une seule foulée. Une seule.
Essaye. N'arrête jamais d'essayer.
Arrivée à Saint Genoux. 40 km. J'avais prévu d'arrêter.
Je visse ma musique. Resserre mes lacets. Avale un thé. Comme à chaque ravitaillement je reste en mouvements. Toujours.
Jamais s'assoir. Jamais. Recharge mes bidons. Accroche un regard qui semble dire "confiance!".
Respire. Et décide de ne plus jamais lâcher.
Au kilomètre 42, très exactement, alors que je n'avais jamais couru au delà de la distance, je rentre enfin dans ma course!
Je viens de traverser 4 heures de tempête au coeur d'une nuit qui n'a jamais été aussi calme douce et favorable sur le tracé d'une SaintéLyon.
Fermée dans un blindage fabriqué à la hâte, sans un oeil pour ma montre et sa litanie de kilomètres qui s'égrainent, j'avance, mètre après mètre, les yeux rivés sur mon cercle de lumière qui ouvre la route.
Les chevilles fatiguées se tordent. Droite puis gauche. Les orteils mordent la chaussure, le coeur s'emballe parfois sur une descente mal maitrisée. La lampe s'éteint sans prévenir. Je recharge sur le bord, prends un antalgique, redémarre, concentrée, toujours, sur ces débuts de crampes qui jamais ne m'offrent de répit.
Quand je lève le nez, c'est ma Lulu-étoile, partie trop tôt et qui devait être à Lyon pour me cueillir, elle avait promis. C'est ma Lulu-étoile que je vois briller, et qui me fait des clins Dieu depuis son perchoir céleste.
Je ne maitrise pas le chrono. Je ne maitrise pas le terrain. Ni le temps qui file, ni le caillou qui roule. Je ne maitrise rien de tout cela. Mais Je fais plier, à force de volonté, ce corps qui cette nuit, avait décidé de ne pas coopérer.
A Soucieux, kilomètre 50, j'ai repris un rythme plus qu'acceptable et je remonte le flot.
Le jour se lève sur ce champ d'espoir en ruine, mais l'arrivée rapide sur Chaponost, dernier ravitaillement, réveille mon esprit compétiteur.
La course est machinale.
Je pense aux brasiers, aux mains d'un bénévole, harcelé de coureur pressés et hargneux, qui me sert moi, avant, parce que je ne tends pas le gobelet, mais que je demande en souriant.
Je pense au concurrent, que je fais rire d'une blague au sortir d'une ornière, et qui se tourne les larmes dans les yeux en me remerciant d'humaniser sa peine de l'instant. Je pense à la vue sur Lyon, aux vignes, au tapis de feuilles, à la croix bleue de Sainte Catherine, phare dans la nuit.
Je pense à cette enfant, juchée sur des épaules, criant de tout son sourire des vivats aux coureurs. Petite fille dans la nuit, qui se souviendra longtemps de sa veillée d'arme, pour soutenir un père, un tonton peut-être, ou juste parce que ses parents, lui ont dit combien c'est important, dans ces instants, d'offrir à l'inconnu un bouquet de fraîcheur. Il passe parfois sans manifester sa reconnaissance, mais l'image s'infiltre dans le subconscient, et revient, au jour du bilan, pour illustrer mieux qu'un grand discours, le pourquoi de tout cela.
Je double toujours, sur le dernier 10, pestant parfois contre les coureurs de la "petite" course qui font salon, à marcher de front, balançant les bâtons dans les jambes du derrière, sans considération pour ceux qui reviennent des ténèbres.
Au détour d'une rue, une volée d'escaliers plonge sur le vaisseau Confluence. Ne pas se précipiter. J'ai envie de sauter. Les yeux veulent rire, ils s'embrouillent et pleurent un peu, les bêtas. Ma montre sonne la fin de sa charge. Nous sommes synchro elle et moi, à vider nos batteries de concert!
Un pont, crochet, berges et passerelle. Pont.
Les visiteurs se pressent. Cloches, cris et trompettes. Virage devant la Halle Tony Garnier, si désirée.
Je veux sourire mais je grimace, deux mains sur les tempes, je veux pleurer, mais rien ne vient. Cherche des bras, un appuis, un je ne sais quoi, oubliant une seconde que je suis venue seule et que personne ne m'attend! Titube, si peu. Balaye la halle du regard. Conquérante. Quoi? J'ai bien le droit!
Plantée devant les cartons de victuailles, je ne sais que piocher. Demande un grand café. Y plonge trois sucres entiers. Me ressers, tout aussi chargé et retrouve enfin mes esprits.
Je reviens vers la barrière, qui ceinture l'arche, et je vois Daddy, mon compagnon sur le départ, franchir l'arrivée à son tour, visage marqué par l'émotion, et j'ai l'impression qu'il exprime à l'instant, ce que je voulais sortir et qui reste coincé, chez moi, quelque part entre le coeur et les yeux.
Je crie son prénom. Ça me libère, c'est bête. Il n'a peut-être pas envie de ça. Je réalise après que je n'ai pas le droit de m'approprier ainsi l'arrivée d'un autre. Mais il vient vers moi, et me serre. Juste rien. Mais c'est beaucoup. Il ne me fallait que ça, pour qu'enfin.
Eclate ma joie.
Saintélyon 2015. Première distance au delà du marathon. Premier trail au delà de 33 km. Je m'étais promis une SaintéLyon de bronze. J'ai fait 9h 24 de course! Sub 10h. Décrochée haut la main, et malgré tout.
Mon inconsciente inconscience avait même envisagé un chrono entre 8h 30 et 9 heures.
Revanche en 2016!
Merci du fond du coeur à Marvin, fédérateur de choc, à Stéphane, attentif, posé et qui a embelli mes heures d'attente, à Florent et Virginie plein de fraicheur, à Marine, qui n'a pas faibli.
Merci à David, pour le départ, et pour l'arrivée.
Merci à Hélène aussi, que j'aimerai vraiment connaitre mieux et à Enzo, même si nous nous sommes ratés !
Merci aux Lapins: Un mythe de les voir arriver !
Merci à Eric, Jean-Marc, Laurent, Denis, Sissi, Ludo, Christophe et tant d'autres pour les conseils.
Merci.
You Rock et ça c'est bon ;)
Changer encore les piles de ma frontale ? S'arrêter. Encore. Sur le bas côté. Encore.
Le jour n'en finit pas de venir. Je veux lever la tête, profiter.
Le petit bois ne m'amuse plus. Concentrée sur chaque parcelle de poussière. Je poursuis mon oeil de lumière depuis plus de 7 heures. A la moindre défaillance de concentration, c'est la cheville qui saute.
Je suis crispée. Nuque tendue comme un arc, les tempes cognent et l'oreille bourdonne.
Pierre, racine, descente dans le vallon. Ruban gras et caillouteux. Trois planches en guise de gué.
Pas de décors. Je cours dans le vide. La nuit place le sentier, un mètre après l'autre et referme l'arrière et les côtés sur ma solitude encombrée et opaque.
Je ne sais plus les bruits. Je ne sais plus les images je ne sais plus comment ni à quel instant précis. Je sais qu'à un moment, j'ai levé la tête.
Et que le jour m'a embrassée.
Il est arrivé, comme arrive une mère au matin d'une nuit de fièvre. Tamisé, doux, silencieux et consolateur. Si soudain pourtant. Peut-être s'était-il annoncé, faisant baisser l'intensité du noir, passant au gris bleuté, ourlé de ciel doré. Rose, jaune ou argenté. Mais je l'ai vu soudainement, sortir du petit bois, et illuminant la crête bordant un champs encore givré. Le croissant de lune fait encore face au soleil pâle. Ces deux là se passent les consignes. Veilleurs de nos vies. Tandis que les étoiles ont déjà filé de l'autre côté du globe.
Je pleure maintenant. En y repensant.
Quel cadeau que le jour !
C'est pourtant la nuit que j'étais venue taquiner.
Cette SaintéLyon attendue depuis 9 mois !
72 km. 1900 D+. Nuit. Froid.
Je m'y inscris avant même de courir mon second marathon à Paris.
Je veux connaitre autre chose que la route. Autre chose que le plat, que le jour, que la course chronométrée et millimétrée. Je veux de l'imprévu, du difficile, de l'adrénaline et du tortueux.
Pas entrainée. Ou si peu. A l'aise sur route, piètre grimpeuse. Mais une tête cabossée, et une brassée de prières à confier au chemin.
Je referme la porte de la maison. L'aventure sera courte mais intense. Maman va courir un peu les enfants. Je reviens vite.
Gare, train. Je somnole. 4 heures vides. Gare, métro. Dossard. Et puis car. Les tâches à accomplir pour arriver au départ s'enchainent. Fluides. Organisées. Pas d'attente, pas d'oubli. Plaisanteries échangées avec le voisin de bus. On se dit qu'on est fada à se faire véhiculer de Lyon à Saint-Etienne le soir venu, pour rallier en sens inverse et à pied, le point du départ qu'on vient de quitter.
Je ne suis pas inquiète. Je ne suis pas euphorique. Je suis posée. Heureuse d'y être. Incapable d'imaginer quoi que ce soit. Les coureurs sont venus en groupes. En couple. Peu d'électron seul et libre. Mais je suis bien dans cette liberté là.
A Saint-Etienne je m'incruste, entre deux traileurs sans domicile fixe pour un temps. Déplie mon mince matelas de mousse. Sors mon bivouac de fortune. La place est de choix. Sous une rampe chauffante. 5 heures à attendre. Hôtel improbable abritant têtes brulées et pieds pas vraiment nickelés.
Mes voisins sont des durs. Ils plaisantent sur leurs aventures passées. L'un a couvert 4 UTMB, l'autre court la Diag' pieds nus. Ici sur la Sainté, c'est un peu risqué. Mais il fera chaud, j'ai pas pris de chaussettes il me dit, bras nus et tête posée sur une bouteille de plastique, à grignoter des graines et mâchouillant de la réglisse.
Je jette un oeil parfois, sur les réseaux sociaux. Marvin, Lyonnais, un passionné, pas encore assez mûr pour se jeter dans le bain, a décidé de passer la nuit à pister une poignée de "Twittos" engagés dans la même galère. Il informe en temps réel notre position, de telle sorte que je retrouve très rapidement Stéphane, puis Florent et Virginie, Marine ensuite, et que nous passons d'inconnus à vieux poteaux, le temps d'un sourire et d'une fourchetée de salade de Pennes aux pignons et tomates séchées.
La Halle-Bivouac est remplie. Bourdonnante. Les visages sont marqués avant même le départ.
Chacun porte sur lui sa carte mémoire de courses. Les impressionnants palmarès côtoient les débutants balbutiants. Nous avons tous un point commun pourtant. Celui d'aimer. D'aimer à en courir, d'aimer la vie même si, elle cogne parfois sans raison et prend d'une main à l'un ce qu'elle donne de l'autre au voisin.
Embrassades et bonne chance. Je lâche mes compagnons pour me glisser dans le rang du départ. Je veux être au plus proche. Je m'attends à devoir traverser une foule compacte. Mais le coureur reste au chaud longtemps, et je gagne les premiers rangs en jouant peu des coudes.
Il me semblait si effrayant ce départ! Et pourtant. Je suis bien. Vraiment bien. Si peu surprise de croiser par hasard dans la foule le regard de David, un autre coureur geek, dont les pirouettes narratives m'amusent sur la toile. Le lien se fait en un selfie. Tapes amicales, les frontales se cognent en mouvements gauches qui trahissent une nervosité non avouée.
Derrière nous l'avenue se remplit. La sono monte le son accélère le tempo, accueille les élites que nous encourageons.
Et puis silence. Mémoire. Applaudissements. Nous allumons nos lampes, plein phare, et monte du flot, sans s'annoncer, une Marseillaise vibrante dont les dernières mesures, décrochées d'un soupir, se fondent dans l'allant de la coulée libérée.
Je file sans surprise et sans peine sur une vitesse croisière de 12 km à l'heure. La sortie de Saint-Etienne se fait en douceur. Il fait déjà chaud, mais c'est une constante dans cette course. Départ bitumé, coup de chaud assumé. Le chemin est vite là. La montée aussi.
Je calme en retrait la vessie qui se prend déjà pour une lanterne à vouloir se manifester dans la nuit et je reprends le train des 6500 mages.
Mythique ruban lumineux. Je suis en voiture de tête et je savoure.
Replat.
Je relance.
Et
La machine vole en éclats.
14 kilomètres.
Stoppée net par des crampes.
Elles crépitent des orteils, remontent les chevilles, grimpent les mollets, s'en vont et reviennent à chacune des pauvres foulées que je tente désespérément de relancer. La marche est mon seul remède.
Je me force au premier ravitaillement surchauffé à avaler une soupe que je bois en marchant.
Je suis une boule de nerfs. Envie de cogner. Je me force à courir. Chaque portion de plat est un calvaire. La marche me refroidit. Je marche plus vite. Les montées me calment: Tous à la même enseigne. Mais chaque kilomètre roulant que je parcours, cahotant, jurant sans ménagement, est une frustration qui me désespère et m'anéantit!
Les descentes, bien pauvres sur cette partie de la course sont des occasions pour accélérer. Mais je suis tellement tendue que je ne prends aucun plaisir. Aucun plaisir.
Mon rêve de Sainté au septième ciel est à des années lumière.
La bataille durera presque 25 bornes.
Je n'ai pas vraiment d'autres souvenirs que ces coups d'épée dans les jambes.
J'ai tout fait.
Rien n'y a fait.
Je n'ai pas regardé la nuit. Tout au plus ce ciel étoilé auquel je m'accrochais.
Maudissant ces coureurs qui avaient l'outrecuidance de courir et pire! de me doubler!
Quel intérêt.
Celui de souffrir. D'arriver en marchant. Je ne suis pas venue pour ça.
L'intérêt est venue d'une main. Posée sur mon épaule.
Un coureur qui s'arrête. Un mot. Me tend une pastille. Un je ne sais quoi. Placebo ou perlimpinpin. Mais il me la tend. Et prend de son temps, pour faire avancer le mien.
Le corps est une machine étrange me dit-il. Qui passe de trépas à vie en une seule foulée. Une seule.
Essaye. N'arrête jamais d'essayer.
Arrivée à Saint Genoux. 40 km. J'avais prévu d'arrêter.
Je visse ma musique. Resserre mes lacets. Avale un thé. Comme à chaque ravitaillement je reste en mouvements. Toujours.
Jamais s'assoir. Jamais. Recharge mes bidons. Accroche un regard qui semble dire "confiance!".
Respire. Et décide de ne plus jamais lâcher.
Au kilomètre 42, très exactement, alors que je n'avais jamais couru au delà de la distance, je rentre enfin dans ma course!
Je viens de traverser 4 heures de tempête au coeur d'une nuit qui n'a jamais été aussi calme douce et favorable sur le tracé d'une SaintéLyon.
Fermée dans un blindage fabriqué à la hâte, sans un oeil pour ma montre et sa litanie de kilomètres qui s'égrainent, j'avance, mètre après mètre, les yeux rivés sur mon cercle de lumière qui ouvre la route.
Les chevilles fatiguées se tordent. Droite puis gauche. Les orteils mordent la chaussure, le coeur s'emballe parfois sur une descente mal maitrisée. La lampe s'éteint sans prévenir. Je recharge sur le bord, prends un antalgique, redémarre, concentrée, toujours, sur ces débuts de crampes qui jamais ne m'offrent de répit.
Quand je lève le nez, c'est ma Lulu-étoile, partie trop tôt et qui devait être à Lyon pour me cueillir, elle avait promis. C'est ma Lulu-étoile que je vois briller, et qui me fait des clins Dieu depuis son perchoir céleste.
Je ne maitrise pas le chrono. Je ne maitrise pas le terrain. Ni le temps qui file, ni le caillou qui roule. Je ne maitrise rien de tout cela. Mais Je fais plier, à force de volonté, ce corps qui cette nuit, avait décidé de ne pas coopérer.
A Soucieux, kilomètre 50, j'ai repris un rythme plus qu'acceptable et je remonte le flot.
Le jour se lève sur ce champ d'espoir en ruine, mais l'arrivée rapide sur Chaponost, dernier ravitaillement, réveille mon esprit compétiteur.
La course est machinale.
Je pense aux brasiers, aux mains d'un bénévole, harcelé de coureur pressés et hargneux, qui me sert moi, avant, parce que je ne tends pas le gobelet, mais que je demande en souriant.
Je pense au concurrent, que je fais rire d'une blague au sortir d'une ornière, et qui se tourne les larmes dans les yeux en me remerciant d'humaniser sa peine de l'instant. Je pense à la vue sur Lyon, aux vignes, au tapis de feuilles, à la croix bleue de Sainte Catherine, phare dans la nuit.
Je pense à cette enfant, juchée sur des épaules, criant de tout son sourire des vivats aux coureurs. Petite fille dans la nuit, qui se souviendra longtemps de sa veillée d'arme, pour soutenir un père, un tonton peut-être, ou juste parce que ses parents, lui ont dit combien c'est important, dans ces instants, d'offrir à l'inconnu un bouquet de fraîcheur. Il passe parfois sans manifester sa reconnaissance, mais l'image s'infiltre dans le subconscient, et revient, au jour du bilan, pour illustrer mieux qu'un grand discours, le pourquoi de tout cela.
Je double toujours, sur le dernier 10, pestant parfois contre les coureurs de la "petite" course qui font salon, à marcher de front, balançant les bâtons dans les jambes du derrière, sans considération pour ceux qui reviennent des ténèbres.
Au détour d'une rue, une volée d'escaliers plonge sur le vaisseau Confluence. Ne pas se précipiter. J'ai envie de sauter. Les yeux veulent rire, ils s'embrouillent et pleurent un peu, les bêtas. Ma montre sonne la fin de sa charge. Nous sommes synchro elle et moi, à vider nos batteries de concert!
Un pont, crochet, berges et passerelle. Pont.
Les visiteurs se pressent. Cloches, cris et trompettes. Virage devant la Halle Tony Garnier, si désirée.
Je veux sourire mais je grimace, deux mains sur les tempes, je veux pleurer, mais rien ne vient. Cherche des bras, un appuis, un je ne sais quoi, oubliant une seconde que je suis venue seule et que personne ne m'attend! Titube, si peu. Balaye la halle du regard. Conquérante. Quoi? J'ai bien le droit!
Plantée devant les cartons de victuailles, je ne sais que piocher. Demande un grand café. Y plonge trois sucres entiers. Me ressers, tout aussi chargé et retrouve enfin mes esprits.
Je reviens vers la barrière, qui ceinture l'arche, et je vois Daddy, mon compagnon sur le départ, franchir l'arrivée à son tour, visage marqué par l'émotion, et j'ai l'impression qu'il exprime à l'instant, ce que je voulais sortir et qui reste coincé, chez moi, quelque part entre le coeur et les yeux.
Je crie son prénom. Ça me libère, c'est bête. Il n'a peut-être pas envie de ça. Je réalise après que je n'ai pas le droit de m'approprier ainsi l'arrivée d'un autre. Mais il vient vers moi, et me serre. Juste rien. Mais c'est beaucoup. Il ne me fallait que ça, pour qu'enfin.
Eclate ma joie.
Saintélyon 2015. Première distance au delà du marathon. Premier trail au delà de 33 km. Je m'étais promis une SaintéLyon de bronze. J'ai fait 9h 24 de course! Sub 10h. Décrochée haut la main, et malgré tout.
Mon inconsciente inconscience avait même envisagé un chrono entre 8h 30 et 9 heures.
Revanche en 2016!
Merci du fond du coeur à Marvin, fédérateur de choc, à Stéphane, attentif, posé et qui a embelli mes heures d'attente, à Florent et Virginie plein de fraicheur, à Marine, qui n'a pas faibli.
Merci à David, pour le départ, et pour l'arrivée.
Merci à Hélène aussi, que j'aimerai vraiment connaitre mieux et à Enzo, même si nous nous sommes ratés !
Merci aux Lapins: Un mythe de les voir arriver !
Merci à Eric, Jean-Marc, Laurent, Denis, Sissi, Ludo, Christophe et tant d'autres pour les conseils.
Merci.
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