C'était mouillé. Très. Et ça m'a plu.
C'est aux portes de Sainte Foy que j'ai vraiment commencé à m'amuser.
Je suis partie en trombe. Sous la flotte. Légère et très court vêtue. Je savais que je risquais gros.
Le bouchon pend au nez. Une seule solution, moucher la masse.
Je suis arrivée tôt pour voir partir les amies sur le petit. Tête de pioche. En poncho sur mes pattes nues, je poisse et dégouline et je dandine d'une canne sur l'autre en regardant passer les vagues des premiers baigneurs du LUT sans réussir à croiser mes comparses.
La foule distrait et fait oublier un peu cette grosse pluie molle qui vient coller aux guiboles.
Dans les rangs ça rigole sous les grandes capes, certains sont exagérément chargés et l'eau dégringole sur leur dos bosselé du gros sac caché sous les cirés, gais coolies sous la mousson.
Les sérieux sont devant. Et je suis avec eux. On ne badine pas avec un départ de course. On tait le risque de chute, mais on sait bien que la moindre distraction, à cette vitesse, ne pardonne pas. On règle des frontales, qui, munies de capteurs, ne s'allument pas sous les projecteurs. On règle quand même. Et on occupe les minutes longues et collantes, les yeux fixés sur le départ.
Première ligne. Elle vibre, piaffe, gronde en retenue. Elle ressemble au souffle d'une bête. Lourd, opaque. Il s'échappe en volutes agitées qui allument comme des réverbères, une à une, les lumières des regards. On jauge, on sourit, on risque une blague, on fait mine de rien sous les rayons des lanternes dans lesquels jouent plus fort encore les baguettes obliques de cette grosse pluie invitée à la fête.
Pleine vitesse. La fronde lâche son flot qui se cogne aussitôt à Saint Jean. J'ai beau dégringoler à 3' 50 du kilomètre, je suis cernée de balles traçantes. Se placer. Avant tout. Le râle des montées n'a pas de concurrence. Il grognonne de concert, tandis que le plat de l'entrée annonce la résistance.
J'ai l'impression de me trainer et je me dis déjà, nuque tendue sur les pavés des quais, alors que rien n'a commencé, que je vais couler.
Partie sans rien, exposée au déluge, je ne me laisse aucun choix. Cours ou crève. Je suis préparée. Pas en tête. Rien à gagner. Tout à atteindre.
Je connais le tracé, couru en repérage quelques semaines avant. La montée vers Sainte Foy s'avale vite. La volée de marches ne freine pas l'allure. Dos droit, j'ai répété mes gammes. Il suffit de trouver un rythme. Sur la pointe des pieds. Et ça monte. Comme une crémaillère, cran après cran. Les pentes enchainent de ruelles en escaliers, la mécanique huilée commence à me faire largement sourire et sous ma loupiote j'oublie la pluie, j'oublie la nuit le froid la brume et les embruns, j'oublie les récifs et les pièges que l'on jonche à mes pieds, d'hier et de demain. La nuit n'est qu'un leurre. Le soleil y brille toujours au revers.
Le petit bois me cueille de son unique trace. La horde est derrière, je refoule un cri de joie. Tout est en ordre. Un rang discipliné de loupiotes respire l'air froid en chimères blanches. Un ondoiement souple mène la danse, passant de bosquets en chemins creux, bosses ravines branches basses et racines, hisse dans les raidillons glisse sur les obliques de boue et toujours debout avance en ahanant.
Les réverbères crus nous cueillent sur le gros rond-point de la sortie du bois. Le plus dur est passé et le peloton espacé s'étiole dans le cercle jaune qui chapeaute le ravitaillement.
Je chaparde un fruit sur l'étal en marchant. Vite précis, je repars comme une ombre.
Foulées fluides, je cours sur les crêtes et dans un sourire décrète que la vie est belle, même au creux des intempéries.
La ville est moins jolie, à moins que je n'y sois plus très attentive. Je me laisse guider par le fil, les rues se vident, et je salue les courageux pisteurs engoncés dans le phosphorescent d'un gilet jaune et qui balisent la trace sur l'asphalte livide.
Je relève la tête à l'approche de Loyasse. J'y ai de la famille. Elle dort paisiblement, dans les bras de grand-père, et je lui lance en trottinant des je vous aime enrubannés des souvenirs de mon enfance Lyonnaise.
La piste fait des boucles. Je pirouette au fort de Vaise. Redescendre pour mieux remonter. Les escaliers ne m'arrêtent pas, je monte, paumes sur les cuisses, nez dans le devant et ma lampe fait luire le feuillage collant qui poisse les marches et piège la course. La fatigue frappe au hasard. Quelques uns s'arrêtent sans préavis, et on se retrouve le nez dans les arrières, à pouffer comme des pensionnaires fugueurs et ravis et dans l'oeil clignote encore l'insolente lueur des joueurs du soir, enthousiastes comme les gamins de la semaine des quatre jeudis.
Je m'engage avec gourmandise dans la pente de la Sarra. Le terrain labouré n'est plus que glaise mais je cascade à mon aise en ricochets agiles sur la déclivité grasse. Crochet à droite, il faut se remonter d'autant par la volée de marches, et je reprends mon rythme, échelon par échelon sans parvenir cette fois à maintenir le dos droit, et je me courbe sur l'effort afin de préserver un peu les quilles pour la dernière réjouissance.
La morsure de la crampe m'arrête en plein élan ! Je surplombe la montée Nicolas de Lange et je prie la Providence et tous ses séraphins de me permettre une fin glorieuse sur ce cher trail urbain. Je claudique un peu puis m'élance encore, l'oeil fixé sur la descente, dévorant deux par deux les marches en oubliant les spasmes. Entrechat en contrebas, devant un attroupement accueillant, je salue d'un éclat de rire et file livrer bataille à Saint Barthélémy. L'hécatombe n'est pas flagrant. Ça monte gaillardement, galvanisé par les vivats de la courageuse foule rassemblée sous les pépins. La baguenaude dans l'ECAM clôture le voyage, je discerne au loin les clameurs de l'épilogue, le théâtre est tout proche, juste derrière la montée, et malgré la pente et les pavés je redouble d'efforts pour finir en beauté.
Je ne suis que plaisir, engouffrée dans l'arène. Qu'elle est noble cette scène, vieille de vingt siècles.
Je rentre dans la lumière, annoncée comme une reine, et décorée d'un sourire,
je compose une pantomime.
Photo Gilles REBOISSON pour Ultrarun
- sublime galerie ICI -clic-
LUT by Night 2016
2h 39' 50"
188e / environ 1800
9 ème féminine - meilleur temps féminin 2h 26' 17" - Un plateau assez serré ! -