Cette sortie fut circonstancielle.
Il faisait beau encore. Un petit matin clair, de cette constante lumière laiteuse de traînée de ciel d'été.
lambinaient les baskets, en attendant les quais. Il m'a interpelée :
"Vous devriez le lire. Mon roman"
Je dévisage l'homme. Plutôt quinqua. Plutôt grand. Plutôt bien.
"Vrai, vous devriez. Je vous croise parfois. Il parle de femmes. De nouveau départ. De muse,
d'égérie et de Lyon aussi"
Je souris avec les yeux. Ils doivent dire d'accord. D'abord je suis incapable de m'offusquer ou de faire semblant, tu sais, de ce genre d'air d'offense faussement retenu, de cette apparence maniérée urbaine et coincée qui montre que tu es une femme du monde, emprunte de ce code social immonde qui cache ce qui doit se montrer et montre ce qui est surfait.
Je souris avec les yeux, avec la bouche aussi. D'accord je dis.
Il faisait doux au fait. Je crois, un peu. Il faisait un temps à filer léger.
S'égrainent les pavés, les ponts, les kilomètres des quais.
Passent les péniches. Les verdoyantes, les modernes, les délabrées, les louches et les cachées.
Personne au petit matin. Ma pomme, et ce fleuve satin, enrubanné de sequins dont les éclats accrochent l'oeil qui doit plisser sous les vives éclipses et qui font rire encore plus franc.
Le grès blanc marié aux pavés jaunes déroule sous mes foulées. J'allonge et je délie mentalement les noueux rails noirs onduleux qui filent en volutes élégantes le long du mur d'accotement de ce si joli quai de Saône.
Pirouettait ma jupette au gré des obliques. Je brûlais le pavé. Il m'a interpelée :
"Je voudrais sortir !"
Ses longues mains de quinqua cagneux agriffées à la berge, il me tend un visage hâve et ruisselant.
La bouclette dégouline en ribambelle bourbeuse et lui donne un air de chat échaudé.
Il n'y a pas long, entre le niveau de l'eau et la berge, mais l'homme semble épuisé, comme las d'avoir barboté trop longtemps et il me dévisage d'un air de grand gosse qui aurait commis une grosse sottise et que sa mère vient gourmander.
Je m'agenouille et aussitôt s'agrippe de toute sa carcasse de géant entourbé. Le tableau doit être amusant, tiens, vu du haut, comme si une girafe se pendait à un fil de pêche : Je ploie sous le fardeau, les genoux raclent sur le rebord et je me vois déjà tomber à l'eau, avec ma jupette et mes baskets !
Attendez je lui dis. Et je n'ai pas continué ma phrase, qu'il me supplie de ne pas le laisser.
Il me fait peine, ce grand dadais, et je dois le rassurer, un peu, et promettre surtout, de revenir en moins de deux.
Un coureur passe et je le hèle. Retire ses écouteurs et de bonne grâce écoute ma requête.
Je ne sais pas si il comprend vraiment, la situation est cocasse et il faut dire que je suis déjà bien crasse, toute barbouillée des traces des mains agricheuses de mon ami la perche ! mais nous sommes deux maintenant à le sortir de là, pieds calés au bollard pour ne pas basculer. Il est lourd l'animal, d'autant plus pesant qu'il gigote et se tord avec l'énergie d'un désespéré et parfois se lasse et s'arrime avec l'inertie d'un noyé.
Une jeune femme passe, et nous sommes trois à le hisser et le voilà bientôt gisant sur le rocher égouttant ses grands abattis trempés. Mes deux compères filent dans la foulée, et je me penche une dernière fois sur ce grand bêta déconcerté.
"Que je ne vous croise plus dans cet état !" lui dis-je d'un ton d'institutrice.
"Il faudra que je raconte ! ça m'amuse !"
J'ai embrassé Lyon du regard, laissant l'homme à son nouveau départ.
Il faisait doux au fait. Je crois, un peu. Il faisait un temps à filer léger et à aimer la vie.
Et j'ai ri.
Une fable. Encore très joliment racontée. à chacun d'y trouver sa morale, comme ce fait de vie t'aura certainement amené plusieurs réflexions. Moi, je lis la vie qui défile, et qui s'arrête aussi quelquefois, qui doit s'arrêter pour se recentrer, tous autant qu'on soit.
RépondreSupprimerMerci Anne-Claire ! Tu as capté l'essentiel de ce que j'imaginais. D'abord je crois qu'il faut capter les petits détails qui font l'extra-ordinaire de nos tous les jours. Les récits de courses nous emmènent souvent dans tous les coins du globe, et on a peur finalement de raconter son ordinaire, de crainte qu'il soit trop plat : Je pense que l'ordinaire, si on le capte réellement, est truffé d'extra et de petites surprises à messages qui valent autant que de grandes transhumances ! Et puis comme cette oeuvre sur les quais, que j'aime particulièrement, ces rails tout en volutes, courbes et déliés, nos vies prennent des virages, on se fait peur parfois, et puis des mains se tendent, ou bien des gens passent et qui d'un mot ou d'un rien nous donnent confiance. Alors on avance et on tend la main à notre tour, et la ligne de nos vies avance ainsi, et c'est bien :) - Flutain qu'est ce que je philosophe bien ce matin ! -
SupprimerHahhahaha oui, Flutain que tu philosophes joliement indeed :) Jolie histoire. Merci, sourire sur ma bouche.
RépondreSupprimerQue d'aventures lors d'un simple "footing"! Et au fait, vous savez qui c'est l'écrivain? Vous êtes peut-être l'héroïne de son livre!
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