Parce que mes pieds sont têtus.

vendredi 9 octobre 2015

Gône with the win(d) - Marathon de Lyon -

J'ai sprinté 500 mètres. Enfin. Appelons cela sprinter. Pour la rattraper. Essayer. Un sprint à 4' 40, c'est une accélération de mauviette. Pas assez pour franchir la ligne d'arrivée en troisième position. Assez pourtant pour ponctuer ce qu'il convient d'appeler
Un marathon d'anthologie

3 ans de course à pied. 3 ème marathon. Je prépare 3h 30.

Comme pour Toulouse il y a 1 an, puis pour Paris en avril dernier, je rentre dans mon objectif de chrono 3 mois avant le coup de starter.
Cette année je décide de me licencier. D'abord pour m'imposer des horaires de sport, ensuite pour ne plus courir seule, enfin pour avoir à disposition une âme assez charitable en la personne d'un entraineur, pour me botter les fesses et cadrer mes ardeurs de coureuse freelance.
Le mois de septembre est éprouvant. Epouvantablement éprouvant.
On ne choisit pas l'heure des difficultés, des peines et des drames. On choisit juste de les surmonter.
Je les enjambe. J'ai deux objectifs. L'un est professionnel, l'autre sportif. Je ne les laisserais pour rien au monde sur le bas-côté.
A raison de 10 heures de labeur par jour, 7 jours sur 7, d'un plan d'entrainement marathon suivi à la lettre et de 6 heures de sommeil par nuit, je tiens la route, plus galvanisée encore, à mesure que se rapprochent mes deux échéances tant travaillées.

Réveillée à 6 heures pour déjeuner, j'ai dormi comme un bébé chez des amis adorables qui m'accueillent à deux pas du départ… 9 heures de sommeil. Un luxe que je ne m'offre plus depuis des mois. 
Mes gestes sont posés. Silence et précision du rituel.
Je me prépare à une longue promenade dont je me régale par avance.
Lyon. La ville de mes 20 premiers Noëls.
Départ de la presqu'île. Lieu de mon baptême. 
20 années sans y retourner. Je veux voir, humer, sentir, me retrouver en enfance, courir sur ma terre maternelle. Je viens embrasser une aïeule. Elle me le rendra bien.
Je me faufile par la place Antoine Vollon. Un oeil jeté aux fenêtres du grand-salon. Celui qui abritait l'immense sapin et la crèche Provençale de grand-père. Douces années des cousinades.
Je piétine le temps d'échanger deux mots avec la meneuse d'allure des 3 h 30. Bon, je lui dis, c'est simple, vous me laissez filer et vous ne me rattrapez jamais ! Humeur joyeuse des départs de courses. Nous laissons partir les élites que nous voyons quasi instantanément débouler de l'autre côté des quais à un train d'enfer ! 
Sas rouge. Jaune. Léger échauffement où le voisin cogne du coude et du genou en riant. Index sur la montre.
Sas bleu. 8h 40.
Libération.
C'est au moment où après un dernier regard circulaire je décide de me fermer sur mon tempo qu'il surgit.
Laurent. Le lièvre du trail Urbain. Le meneur Toulousain que je n'ai pas su suivre sur mon dix foireux.
Laurent. Venu de tout la bas. Par surprise.
" Tu crois pas que tu allais le faire toute seule ce marathon, non ?"
Je suis hilare, euphorique, pince moi je rêve, à peine le temps de réaliser et il sort du rang en me jetant un "va, je te rejoindrai vers le 10 ème km".
Je traverse la Saône, encore éberluée, sans trop savoir si j'ai bien compris le comment du pourquoi mais je referme mes pensées sur cette douce impression de commencer une histoire de marathon un peu hors du commun… 
Les quais me regardent rouler sur mon tempo millimétré. 4' 45. 10 secondes de plus que ce que j'avais convenu. Mais les jambes décident seules et le martèlement des semelles sur la chaussée me berce en un rythme qui ne se discute pas. 
Du monde, un peu. Comme les enfants sur l'autoroute, je joue à deviner l'histoire ou la destinée des bolides qui me dépassent. On devine les gens à leur façon de courir. Il y a les pressés. Les anxieux. Il y a les blessés. Les ambitieux et les sérieux. Et puis il y a les plus lents, parfois, qui sont partis dans un sas trop rapide pour eux, et qui oscillent au passage des dragsters. 
Les coureurs du semi se mêlent aux marathoniens. Difficile de se situer. Je suis le flot et je savoure les conditions météo idéales du jour. Pas un souffle. Ni trop froid, ni trop chaud. Thermostat réglé pour le coureur de fond.
J'ouvre les yeux. Une première sur marathon. Les berges sont calmes. Un peu de monde sur le chemin, mais pas trop. Nous sortons de Lyon, passage devant Bocuse. 10 ème kilomètre. 47 minutes. Je ne songe même pas à la conversion sur 40. Je constate. Juste. Et je suis dans mon élément. Pas une seule fois je songe à ralentir. Je me fais confiance, et cette sérénité me porte. Droit devant. Souffle posé. Régulier. Et la semelle, qui fait ses gammes. Padabam, padabam.
Mon cavalier Laurent surgit de nul part. Au 12. Plus tôt ? Je ne sais plus au juste. Après le pont. 
Je lui fais signe que je flotte. Dans mon monde ouatiné de marathonienne. Il respecte mon silence, se place dans ma roue.
Cinq kilomètres vers le sud. La route est un tapis roulant qui me fait avancer. Je prends le temps de regarder le flot des coureurs qui se déverse encore sur l'autre berge. Si j'avais été arrêtée, accoudée au parapet, à m'amuser de cette ondulation colorée, ça aurait été tout comme. Le mouvement, bras, jambes, se fait sans y penser. Toujours au même rythme. Tempo gravé dans le disque dur, le corps récite sa chanson et la passe en boucle, sans jamais se lasser.
L'approche du tunnel me réveille. Il s'en faut de peu pour que je m'engouffre sur la voie réservée aux semi-marathoniens ! Laurent est là qui veille et m'indique le bon chemin pourtant bien annoncé par une armée de bénévoles et de panneaux bien placés. Il faut croire que j'avais les yeux fermés. Encore. La masse bifurque. Nous sommes seuls. Presque.
Tunnel de la Croix Rousse. Modes doux. Le nom m'amusait. J'en comprends le sens en m'y engageant.
1800 mètres d'enchantement !
J'ai l'impression qu'une main géante a posé sur nos têtes un gros casque à réducteur de bruit. Bulle immergée dans un immense aquarium je plane au centre des images projetées sur les parois. Sons doux, images ondulantes. Je suis dans un fauteuil. Regarde les bruits, écoute les mouvements, capte les silences et goûte les sons.
Laurent pendant ce temps, trifouille dans son sac, joue les paparazzi, tournicoque va devant, revient. "Tu vas trop vite" me lance t'il ! "Je n'arrive même pas à prendre une photo !". Je voudrais ne jamais sortir de ce chemin chaud et lumineux. Les autres coureurs, tout aussi silencieux, semblent savourer aussi. Nous sommes des privilégiés, à passer ici, en tête de peloton.
Le jour froid nous frappe dès la sortie. Quel contraste ! Le frisson passe aussi vite. Le rythme de course n'a pas bronché. De là haut un satellite m'a repêchée. 4' 50. Parfait. Laurent me souffle parfois, visiblement impressionné "Mais tu fais un truc de fou !"
Aux abords de la Tête d'Or, nous croisons les champions. Ils passent, en sens inverse. Balles traçantes. 
Sur les bas côté on encourage. Semi. 1heure 41.
En entrant dans les allées, je me revois vaguement petiote, accompagnée des cousines, main ferme de ma grand-mère. Il me semblait infini ce parc. Et je me prends à songer que peut-être, il l'est, et que je vais perdre le fil, partir dans la mauvaise allée, chuter sur une bordure. 
Je n'aime pas courir dans les parcs. Ils sont synonyme de sorties du dimanche, poussives et obligées, à suivre le jogging du devant. En rond, toujours en rond, autour du lac dont la boucle ne finit jamais.
" 4 ème féminine" me susurre le bas côté ! Laurent pointe devant. Fille à 100 mètres. Il me faut du temps pour comprendre ce que cela signifie. Kilomètre 24, sortie du parc de la Tête d'Or, je cours pour…Le podium !
La longue remontée durera 5 bons kilomètres.
Elle m'a flairée. Dans son dos. 
Le public réalise à notre passage que la course féminine se joue ici. Badauds et coureurs, que je dépasse, crient mon prénom, poussent, encouragent. 
J'aime la compétition. Me voilà servie.
La partie se joue en silence. Elle accélère imperceptiblement, j'ajuste ma vitesse. 
Les berges du Rhône défilent à 13,5 km heure. Laurent prend le pouls régulièrement. S'inquiète, un peu. Calme mon impatience. Prodigue des conseils bien ciblés. Et m'encourage, toujours.
Je la dépasse avant le 30 ème. Mur du son. Je jubile. Jeune Padawam… Pauvre de toi. Elle l'aura sa revanche. Mais tu ne le sais pas.
Je fais baisser la pression au parc de Gerland. Echange rapide avec un coureur au même rythme de croisière. Il courra comme moi la Saintélyon dans deux mois, et nous évoquons notre future arrivée, ici, après une longue traversée nocturne qui risque fort de me marquer, aussi, d'une autre façon.
La fatigue aidant, mais sans flancher encore, je profite moins de la route. Concentrée pour ne pas marcher dans les ornières où l'orage de la veille a laissé de larges flaques, je m'applique à séparer l'âme du corps qui commence à devenir lourd.
Laurent prend le contrôle des détails matériels. Il me sert de porteur d'eau, de conteneur à déchets - Plus de poubelles ASO sur le trajet tu es gentil merci - Il s'inquiète en permanence de mon état physique, m'invite à ne pas lâcher prise. Je contrôle encore ma vitesse. Elle ne bouge pas. Mais au passage du pont Raymond Barre, je  touche, impuissante, au point de confluence entre fluidité et difficulté.
Les 3 kilomètres entre le 38 ème et le 41 ème me semblent interminables. Une lame me chatouille le côté droit de sa pointe acérée. Frappera, frappera pas. C'est à 41,5 qu'elle cogne. Je m'arrête pliée en deux dans une douleur que je ne peux plus contrôler.
Elle profite de cet instant.
Me dépasse dans un courant d'air.
Je lève la tête. Impuissante. Dans un brouillard, au bord de la nausée j'entends Laurent qui me hurle d'avancer.
Alors.
Je redresse le torse. Ravale mes larmes. Echange un regard avec Laurent. Souffle.
5 secondes d'arrêt. 5 secondes de trop.
Refermée sur ma douleur. Raccrochant les 13 km heure, j'arrache au bitume les 800 derniers mètres.
Ligne. Je referme la main sur ma montre. Arrête le chrono.
Stratosphérique. J'explose une seconde fois mon record.
3h 23 minutes et 53 secondes de course.
15 minutes de mieux qu'à Paris.
30 minutes gagnées en un an sur la distance.
Je hurle. Trépigne, étreint Laurent tout aussi euphorique. Lance vers le ciel un salut à mon étoile. Ma Lulu.
Je félicite ma concurrente. Elle me souffle qu'elle n'est pas sûre. Pas certaine de sa place.
Je commence à comprendre.
Elle est partie bien avant moi.
Mon chrono est meilleur que le sien.
Mais.
Mais elle a franchi la ligne avant moi.
La règle est simple. Première arrivée en temps officiel - début de course premier départ - première servie. Elle monte sur le podium.
Et pourtant.
Et pourtant mon résultat est sans appel… 3 ème féminine.













 Manger du Lyon au petit déjeuner, ça me réussit !




Un grand merci à Eric Tinat, entraineur à L'USBerry Athlétisme, pour son plan, ses encouragements et sa confiance dévouée.
Et puis.
Mon étoile, ma Lulu, mes enfants si sages pendant mes entrainements. Laurent. Rock*. Henri et Isabelle.
Mon T-Shirt Errea fétiche. Ma parfaite ceinture Flipbelt. Mes Asics quicourentvite.
Et tous les bénévoles.
Merci.

8 commentaires:

  1. Tu sais le faire vivre...merci..merci pour l'émotion. Merci de me donner envie.je ne serai jamais à ton niveau mais tu me fais rêver. Et pour moi tu as ta médaille de 3 ème. Bravo championne.et un jour on se croisera sur une course.enfin on se verra à l'arrivée que je puisse te féliciter en vrai

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    1. Merci Co :) Je t'ai loupée une fois. Pas deux :) Promis !

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  2. Waouh, respect Sophie, tu es toute une lionne...

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  3. Waouh, respect Sophie, tu es toute une lionne...

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  4. Bravo Sophie, j’ai adoré notre bagarre ! Les 42km sont passés sans ennui, grâce à toi...
    Tu as fait un parcours extra, ton récit est passionnant.

    Au final, tu es 3’29" plus rapide… C’est énorme, et tu mérites bien la 3ème place.

    A ce que je vois, maman de 5 enfants, waw !, tu es en pleine progression.
    Je te souhaite encore beaucoup de belles courses et de beaux podiums.
    Je t'envoie un petit mail sur live ;-)

    Sportivement,

    Anne

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    1. Un immense merci Anne pour ces échanges qui prolongent ce superbe marathon d'une très belle façon. Il va falloir que j'aille te taquiner sur tes terres alors ;)

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  5. Ah la la comme on le vit, ce marathon… Nul besoin de jouer dans la même cour pour en savourer le bonheur, juste se laisser porter par tes mots, et espérer vivre des moments du même ordre, un jour, même si sur du moins ambitieux. Mille bravos !

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  6. Bravo Sophie, tu as fait un temps assez exceptionnel ! Tu es vraiment forte :)

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