L'air est frais. Il a la couleur éclatante des jours où tout est possible. Je ferme les yeux. Tends le visage vers l'à venir. Je dis bonjour à n'importe qui, j'ai vingt ans de moins. Invincible et conquérante.
Les gris amoncelés heure par heure sur la ligne sans horizon de la nuit éclatent bruyamment en pluie. Il y a course aujourd'hui. Je me persuade de l'envie. Rassemble les mouvements sans allant qui porteront mes pas vers l'asphalte terne et mouillée d'une journée brouillée.
Je ne suis que blancheur. Rire en bandoulière, je m'aligne là, tout devant. La semelle me démange. Montée sur coussin d'air je souffle à qui veut entendre que la journée sera belle. On me dit que je suis trop sûre de moi. Mais il est bon de l'être, parfois. L'âme est si imprévisible, tu sais, il faut chanter quand on a de la voix, de peur de regretter un jour soudain, de vivre suspendue à un soupir.
Je suis déjà en retard. Semelles de plomb, le lacet se défait aussitôt attaché et le ventre se tord sur une pelote bien serrée. Lève la tête. Ferme les yeux et regarde un peu ! Quelle indécence de se morfondre ! Personne ne t'oblige, mais tu aimes ça, tu sais ! Le brouillard de tes pensées ne sont qu'une basse excuse à ta flemme ridicule. Aurais-tu peur, fillette ? Compétitrice sous conditions. Brillant.
Je vais vite, je sais. Trop vite, je sais ! Je sais je sais, je voudrais même aller plus vite tu sais! Ils souffrent déjà, les gens. Je souffle déjà, si régulièrement. Je flotte et me fie des kilomètres. Ils s'égrainent au rythme du tempo de la foulée. La pensée vagabonde, elle retient les disparus, fait courir les anges, répare les vivants, soigne les blessures et va de l'avant.
Ça bouscule. J'ai un peu peur. Tout ira vite. Débarrasse toi. La route poisse, les coudes heurtent. Je pousserais bien. Et toi ! Tu veux que je t'aide à prendre toute la place ? Va faire un tour dans le décor, tu entaches ma mauvaise foi. Je peste si je veux. Mais qu'est ce que je fiche là. C'est moche et gris. Et ce troupeau? Il rime à quoi?
L'âme se détache. Regarde le corps qui déroule sans peine. Respire. Profite. Tu as travaillé n'est-ce -pas? Le voilà ton résultat! Sois fière. Ne va pas trop vite. Si. Va, file, file! Le bonheur tu sais, ne se rattrape pas. Il se créé de l'instant. Enferme le dans ta mémoire, pour le ressortir à l'automne des sentiments. Je suis acteur-spectateur d'une évanescente idée du ciel. Je suis volonté et rêve, maîtrise et fantaisie. Tête et corps conjuguent l'action en un troublant unisson frisant la perfection de l'acte. Je cours. Et c'est simple. Voila. C'est aussi simple que cela.
A t'on jamais vu pareil tracé! Mais qu'est ce que j'ai? Trop de piste. Ou pas assez. Pas assez. Mais oui passez! Sont ils donc pressés. La course au podium. Ridicule quête. Et ces gens sur les bordures, se croient-ils donc à la fête? Je souffre tant. Et ce ne sont pas les jambes. C'est dans la tête. Et je bataille, corps et âme, pour chasser ce spleen qui me fera choir.
Concentre toi maintenant. Ne t'emballe pas! Ta volonté est sous tes pas. Je la porte en moi, depuis le départ. Elle était dans mon sourire, et bien avant encore, à l'entraînement. Le résultat ne sera qu'une gourmandise, une signature sur mon plaisir. Un petit caillou blanc rajouté sur le cairn de ma vie. Je suis victoire.
Je n'y arrive pas. Ce ne sont pas les autres. Ne cherche pas d'excuses. Tu n'y arrives pas. Arrête. Ça t'avance à quoi. Black-out. La tête ferme brutalement le flot de l'envie. Tu ricanes. Grinçante. Traîne des pas visqueux sur une course avortée. Le regard plongé dans la glaise du bas-côté j'évite de montrer à l'autre le ridicule déshonneur qui trempe le bord des yeux et modèle la face d'une terreuse grimace. Je suis échec et culpabilité. Fatigue et nervosité. Je suis abandon.
Sur un bord de terrain, le lendemain, Victoire et Abandon se toisent.
Pleutre!
Prétentieuse!
Se taisent un instant. Chaussent. Dérouillent les muscles froids. Déroulent leurs gammes.
Abandon regarde droit. Victoire regarde Abandon. Fait un pas de côté. Se cale à la corde, dans sa roue.
Souffle.
J'ai besoin de toi abandon. Tu sais.
Et de concert. Filent.
Marathon de Lyon. Octobre 2015. Victoire en 3h 23
10 km de Foëcy. Février 2016. Abandon après 4,55 km.
Un abandon pendant une compétition n'est jamais une conclusion finale, en soit. J'ai moi-même déjà vécu le même genre de sensations que tu a pu décrire. Certes ce n'était pas pendant une compétition. C'était en 2007. A cette époque, je n étais pas en club et n'avait même jamais partcipé à une compétition. Lors d un footing long, au bout de 30min d'effort, j aimerai du m'arrêter. La boule au ventre avec l absence voire même le refus d'une quelconque motivation de continuer à courir. J ai fait 1h de marche pour rentrer chez moi. Cet état de faiblesse est certainement survenu car je n avais pas d entraînement cadré et surtout parce que j ai voulu faire un effort pour lequel je n étais pas prêt. Dans notre vie quotidienne comme dans la compétition, on ne peut pas constamment réussir. Nos difficultés quotidiennes, sociales, familiales relationnelles font que nous n acceptons pas d échouer sur nos objectifs sportifs personnels.
RépondreSupprimerDans les deux cas, il faut savoir nous adapter.
De plus, ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort
C'est fort tout ce que tu écris....
RépondreSupprimerC'est pas simple....tout ça....but don't forget, you have Kenyan blood in your veins !!!
Je t'embrasse fort ma Sophie...prend soin de toi <3
Toujours super intéressant à lire! Je ne cours pas mais si c'est comme dans la vie, l'essentiel est de tirer les leçons de la victoire et de l'abandon... Merci pour ce partage. Dominique.
RépondreSupprimerLe sport - Mais l'art, l'écriture, le chant, que sais-je d'autre - sont à n'en pas douter l'expression de nos vies intérieures. C'est un moyen d'expression, et, entre colère, paix, résignation, équilibre, abandon ou combativité, un façon d' exprimer dans l'espace ce qui coule à l'intérieur. Je crois. Vraiment :) Merci Dominique !
SupprimerLa photo pour illustrer le commentaire de ta course de Foëcy est à mon sens, très explicite...
RépondreSupprimerLa page blanche de la course... mais au moins celle de ton blog n'est pas restée blanche, tu décris si bien ce que tu as vécu. Mais tu sais rebondir, comme toujours !
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