Parce que mes pieds sont têtus.
lundi 21 mars 2016
Le printemps de Saint-Amant
Je n'ai vu de ma fenêtre que ce ciel opalin d'un bleu semi-précieux.
Le printemps nait aujourd'hui, des feuillets de mon éphéméride.
Chrono tourne la page sur la grande endormie de l'hiver. Siffle au monde mille renouveaux et la toile céleste de cette aube pure badigeonnée d'opaque invite l' Homme à inventer le jour.
Le froid me surprend.
Je suis sortie légère. Hésite à revenir en arrière. Retrouver l'antre et son poêle sombre au creux duquel s'éveille la flamme rassurante des longues soirées en solitaire.
L'astre clair me fait de l'ombre. Je ferme les yeux sur l'écrasante lumière. Un pas puis l'autre. Tourne délibérément le dos à ma tanière.
Je force un peu le premier souffle. Il se détache en volutes blanches et vient remplir l'espace de soupirs qui éclatent en néant comme ces bulles de savon trop lourdes dont la course s'achève avant même que d'être.
La route sombre se détache sur un paysage en négatif. Blanc épais, noir cireux. Les bocages font des bordures sur lesquelles je me fixe des repères, lignes de fuite, tuteurs de mon allant balbutiant sur ce petit matin trop vif.
Je ferme les poings sur mes doigts nus. Cligne les yeux sur l'horizon cru.
Méthodiquement pour échapper au décor froid, rentre dans mon corps, point après point.
Les pieds, marche automatique. Les mollets. Déroulent. Epaules un peu crispées. Je suis mentalement la courbe de mon dos, déverrouille un à un les muscles froissés de long sommeil.
Je me force à placer mes bras. Balanciers pour une plus juste foulée.
Le corps est une machine paradoxale, qui doit apprendre la maitrise pour devenir instinct et fluidité.
Un courant d'air me fait lever la tête sur la haie de Sycomores. Ils s'ébrouent en éclaboussures de givre et il pleut sur moi des restes de l'hiver. Je frissonne à ce concert de grelots aigus. Ils me chantonnent entre blanches et croches un chant chuintant qui cherche à chasser la frêle chaleur d'un coeur en incubation.
Je traverse les piques. Chevalière au vent mauvais. La glace s'accroche à mes yeux. Je passe sans ciller, et le ciel là bas, pourtant si clair, s'incline un peu plus bas pour m'inciter à le suivre.
Au détour d'un virage, la terre ne semble plus si basse. Les épaules se délassent et le sol se dessine en courbe maternelle sur un trait d'horizon dont la pâleur un peu plus soutenue que l'air semble aspirer d'un souffle tiède les pâles heures qui peinent à s'effacer.
J'ouvre le regard. Sur le talus, la Canche durcie de gel pleure à grosses gouttes de rosée scintillante.
La partition des champs blancs s'évapore au soleil perçant et les passereaux pressés s'affairent déjà dans les ornières des sols cabossés.
Des maisons au loin, ouvrent un oeil. Les rayons du jour caressent le grès rosé de matin. Les coiffes laiteuses des cheminées murmurent la comptine du café fumant sur les tablées paresseuses des journées chômées.
Je passe la fontaine au timide filet. Des primevères frondeuses ont ouvert une brèche dans la margelle mousseuse.
Un trait de lumière jaune se cogne au granit rose d'un joli linteau jointoyé d'arène rouge. Une paysanne ensabotée me salue de ses yeux ridés de mille rudes vies.
Je dis bonjour, bon jour !
Souriant au grand vide baigné de lumière et de promesses, je cours, confiante et rassurée sur ce long ruban descendant.
Les réminiscences de l'hiver flottent, épars, dans l'air léger.
Les souvenirs accrochent aux bras des châtaigniers des restes d' avant, Ils me frôlent puis repartent, parfois se posent, sur mes cils, et roulent en larmes purifiantes,
vers le si doux printemps de Saint-Amant.
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Toujours en Bourgogne? C'est si vivant, je sens le vent vif sur mon visage, ressourçant....
RépondreSupprimerMerci Dominique. Je suis contente d'arriver à vous faire ressentir cet air particulier ! - Je retourne en Bourgogne dans 10 jours -
SupprimerJE pense bien fort à toi <3 <3
RépondreSupprimerMagnifiquement bien écrit.
RépondreSupprimerMerci David. De ta part, tu sais que je savoure le compliment :)
Supprimeroh! je suis toute frissonnante. soufflée. tu es merveilleuse.
RépondreSupprimerToi aussi tu l'es :) Merci très sacrée poulette
Supprimer"il pleut sur moi des restes de l'hiver", c'est tellement beau. J'aime beaucoup ta façon d'écrire, et cette sensibilité communicative. Bravo.
RépondreSupprimerMerci infiniment Natacha. Joli cadeau que ton mot.
SupprimerDe toi, sophielastyliste, je ne connaissais que la foulée. La plume n'est pas moins élégante... L'étoffe d'une écrivaine, sans conteste.
RépondreSupprimerEt quelle magnifique leçon de dépassement de soi à Cheverny !
Nicolas, runner breton,
compagnon de ton chemin de croix dominical.
Nicolas mon Saint Sauveur de Cheverny. J'ai vécu 4 marathons. Différents. Tous. Mais celui-ci a une saveur profondément Humaine que je n'oublierai jamais. Je muris un compte rendu, forcement difficile. Livrer tout ce que j'ai traversé. Retranscrire avec pudeur et délicatesse cette douleur que tu as su, par tes mots et ta présence, transformer en Beau. Combien de fois Merci Nicolas ? 42,195 fois. Et bien plus encore !
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