Parce que mes pieds sont têtus.

dimanche 25 septembre 2016

Gamberge

Cette sortie fut circonstancielle.
Il faisait beau encore. Un petit matin clair, de cette constante lumière laiteuse de traînée de ciel d'été.
lambinaient les baskets, en attendant les quais. Il m'a interpelée :
"Vous devriez le lire. Mon roman"
Je dévisage l'homme. Plutôt quinqua. Plutôt grand. Plutôt bien.
"Vrai, vous devriez. Je vous croise parfois. Il parle de femmes. De nouveau départ. De muse, 
d'égérie et de Lyon aussi"
Je souris avec les yeux. Ils doivent dire d'accord. D'abord je suis incapable de m'offusquer ou de faire semblant, tu sais, de ce genre d'air d'offense faussement retenu, de cette apparence maniérée urbaine et coincée qui montre que tu es une femme du monde, emprunte de ce code social immonde qui cache ce qui doit se montrer et montre ce qui est surfait.
Je souris avec les yeux, avec la bouche aussi. D'accord je dis.
Il faisait doux au fait. Je crois, un peu. Il faisait un temps à filer léger.
S'égrainent les pavés, les ponts, les kilomètres des quais.
Passent les péniches. Les verdoyantes, les modernes, les délabrées, les louches et les cachées.
Personne au petit matin. Ma pomme, et ce fleuve satin, enrubanné de sequins dont les éclats accrochent l'oeil qui doit plisser sous les vives éclipses et qui font rire encore plus franc.
Le grès blanc marié aux pavés jaunes déroule sous mes foulées. J'allonge et je délie mentalement les noueux rails noirs onduleux qui filent en volutes élégantes le long du mur d'accotement de ce si joli quai de Saône. 
Pirouettait ma jupette au gré des obliques. Je brûlais le pavé. Il m'a interpelée : 
"Je voudrais sortir !"
Ses longues mains de quinqua cagneux agriffées à la berge, il me tend un visage hâve et ruisselant. 
La bouclette dégouline en ribambelle bourbeuse et lui donne un air de chat échaudé.
Il n'y a pas long, entre le niveau de l'eau et la berge, mais l'homme semble épuisé, comme las d'avoir barboté trop longtemps et il me dévisage d'un air de grand gosse qui aurait commis une grosse sottise et que sa mère vient gourmander. 
Je m'agenouille et aussitôt s'agrippe de toute sa carcasse de géant entourbé. Le tableau doit être amusant, tiens, vu du haut, comme si une girafe se pendait à un fil de pêche : Je ploie sous le fardeau, les genoux raclent sur le rebord et je me vois déjà tomber à l'eau, avec ma jupette et mes baskets !
Attendez je lui dis. Et je n'ai pas continué ma phrase, qu'il me supplie de ne pas le laisser.
Il me fait peine, ce grand dadais, et je dois le rassurer, un peu, et promettre surtout, de revenir en moins de deux.
Un coureur passe et je le hèle. Retire ses écouteurs et de bonne grâce écoute ma requête.
Je ne sais pas si il comprend vraiment, la situation est cocasse et il faut dire que je suis déjà bien crasse, toute barbouillée des traces des mains agricheuses de mon ami la perche ! mais nous sommes deux maintenant à le sortir de là, pieds calés au bollard pour ne pas basculer. Il est lourd l'animal, d'autant plus pesant qu'il gigote et se tord avec l'énergie d'un désespéré et parfois se lasse et s'arrime avec l'inertie d'un noyé.
Une jeune femme passe, et nous sommes trois à le hisser et le voilà bientôt gisant sur le rocher égouttant ses grands abattis trempés. Mes deux compères filent dans la foulée, et je me penche une dernière fois sur ce grand bêta déconcerté.
"Que je ne vous croise plus dans cet état !" lui dis-je d'un ton d'institutrice. 
"Il faudra que je raconte ! ça m'amuse !"
J'ai embrassé Lyon du regard, laissant l'homme à son nouveau départ. 
Il faisait doux au fait. Je crois, un peu. Il faisait un temps à filer léger et à aimer la vie.
Et j'ai ri.

dimanche 4 septembre 2016

La nouille et le boeuf

Une nouille vit un boeuf.
D'abord, comme à son habitude, elle sort de sa chaumière, s'étire et s'assouplit.
Sur l'appui de la fenêtre, l'offrande : La courge est grosse ce matin.
C'est un régulier. Le paysan voisin. Tout à l'heure il lui donnera une salade montée.
C'est un pote âgé. asocial. Et pas si vil. Elle fera une soupe tiens.
Elle part par le chemin tordu. A petits pas de pas pressée.
Les noisetiers biscornus en haies plessées délimitent les pâturages. Entre deux arbres le bestiau mastoc mastique, dolent.
Le taureau du voisin paysan. Sa prunelle, valseuses en galerne.
L'animal lui semble de belle taille,
elle qui n'était pas franchement épaisse.
Il est là, qui paît et qui montre ses fesses.
Curieuse, se gausse et s'étonne
comparant l'animal à un athlétique mâle
courtaud molosse à l'ignorance abismale.
Se pointe le maître "Ah mais salut championne !"
se gaussant, jabot turgescent, deux pouces à la ceinture, s'enfle et se flatte
"Ne t'en approche point, chétive pécore, c'est qu'il y a, dans ces baloches, un entier cheptel, tu t'approches, il t'embroche !"
"C'est que je m'étonne" réplique la polissonne "une si vigoureuse carcasse sur de si frêles cannes !
Le paysan se renfrogne, toise la bêcheuse et cède tout à trac en une bouillie boudeuse
"il est vrai, à trop se reproduire, sa fin est bien fâcheuse
C'est qu'enfin à trop monter, les postérieurs le lâchent"
Et la poussant du coude rajoute d'un air potache
"c'est t'y pas sot tout d'même de clamser pour des vaches !"
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus justes
chacun veut vivre comme les grands seigneurs
petit ou grand manant a ses ambassadeurs
exécutant sans égard des créatures robustes.

Cette bête histoire de couilles mérite la bafouille
Elle n'est pas bien sagace
mais enfin je m'agace, et je me dis comme ça, qu'on voudrait bien parfois
casser trois pattes
A un connard.