Parce que mes pieds sont têtus.

lundi 1 juin 2015

Dans le bain du trail Toulousain

La veille j'étais chafouin.
Un jour chiffon. Renfrognée, c'est pas juste, je m'fous de tout et patin-couffin.
Et en plus j'ai mal dormi, mon ongle s'est cassé et mon cheveu frisait et pas envie de rien.
A la rigueur courir un marathon. Le genre tout droit. Pas réfléchir. Atrabilaire solo: on dira que t'es super concentrée, rouge tomate, alors que tu fais du boudin.
En plusse.
La veille du marathon de Paris (clic) , l'air de rien dans les allées du salon, mon petit doigt me dit, c'est maintenant ou jamais. Je signe pour la Saintélyon. 
La blague.
La volonté elle se bouscule. Tu veux ? Tu peux.
Première des persuasions: En deçà de 50 kilomètres, ta course, c'est pour les fillettes - méthode Coué-nne -
Alors bon. Vu comme ça. Ben je m'inscris au trail urbain Toulousain de 33 km.
Je ne sais pas si toi, mais moi je me souviens bien de la belette mouillée sortie de cette même course il y a un an tout pile.
Je n'en menais pas large. 3h 37 de misères. La preuve ici.
Alors cette année, je me dis. Ça sera pas pire. Au pire ça se fera et ça ne se saura pas.
Chaleur de gueux sur la prairie.
Je retrouve deux poteaux. Très jolie surprise. Jean-Marc le grand sage sur son biclou. Socquettes en titane. Et puis Laurent, venu en touriste, qui enrhume du monde dans un peloton, même en roue libre !
Deux gardes-du-corps. Mes garde-folle. Traquée avec amour.
Peu de fille. Deux ou trois championnes. Le joli linge s'aligne sur le 18 et sur le 9.
Je me sens bien. Ça change d'hier. C'est fête des mamans. Je m'offre un joli cadeau. Toulouse open-routes avec deux ouvreurs. Mieux qu'en limousine !
Le tracé est une surprise. J'ai repéré quelques chemins, je me doute de certains passages, mais j'ignorais avant le départ que nous partirions à l'inverse de l'an passé. La montée de Pech David se fera plein feu sous un soleil vicieux. Gare au mur !
Je bouscule mes premiers kilomètres. Aidée par le rythme de Laurent je colle au 5' au km, plus vite encore parfois. Je sais que c'est un peu rapide. J'exprime mes doutes à voix haute. Les hommes qui sont à ma hauteur m'encouragent déjà. Je parie sur un positionnement rapide et une course à l'épuisement contre les concurrents. Je suis partie pour un podium et si je mesure le professionnalisme des deux coureuses parties déjà loin devant, j'ignore les qualités de celles qui me succèdent.
Comme souvent en trail, je cours masculin. Bénévoles et concurrents sont au petit soin. Incalculables et adorables encouragements saisis au vol, avalés goulûment, mesurés et savourés. Jetés au passage comme une brassée de fleurs, envoyés comme une oeillade, un sourire ou des bravos.
Et Laurent qui papillonne. Retourne en arrière, me rassure sur mon avance. Ça va ? Pas trop rapide ? garde ton rythme, ça tourne, angle droit, on traverse. Tu es bien. Attend v'là les 18, et vas-y que je les course, et je reviens guilleret. Punaise ils vont vite les félins ! Il me lâchera à Rangueil faute de temps.
Mon second Saint Bernard me garde dans sa roue. Rassurant, il fait la trace et me mitraille ! Conseils bien ciblés. Juste assez. Bien dosés. J'ai fait connaissance avec cette figure de la CAP Toulousaine en plein marathon de Toulouse (clic ). Sorti du rang, alors que je flottais en pleine euphorie du kilomètre 30, on a tapé un brin de causette sur un bout de ligne azur, allure 5'20. Civilités, bonjour à la revoyure. Simplicité et amitié spontanée sur 1 ou 2 km de bitume urbain.
Larges allées, parcs, montées. Le soleil donne à plein. Savourer les ruelles étroites. Oasis ombragées. Trop vite sortis des ornières, plein feu sur la montée de l'observatoire. Je verrouille le rythme. Le temps d'une photo on replonge vers le centre. Le cimetière est passé sans m'enterrer. File prendre l'air du jardin des plantes. Les passerelles chaloupantes du Grand-Rond donnent la nausée. Ravitaillement et percussions, respiration avant de canaliser l'effort. L'eau stagnante fait la morte, les platanes n'ombragent même plus. Le canal retient sa respiration. Pauvre traileur. Il va souffrir !
A la rocade on bifurque. Dernière plongée dans le métro, des secondes de fraîcheur, malgré le casse-pattes en escalier. Antenne de Pech David dans le viseur. Chemin du vallon accroché sur la pointe. Peine perdue, la montée exposée crame les bonnes volontés. Quelques pas marchés ne changeront pas grand chose au tempo. Jean-Marc fidèle me rassure. Les coureurs éparses se cognent au dardant soleil. Il fait soif. Ça traîne la langue et ça tire la jambe.
Le sommet annonce la descente. Regain. Et ça file. On rentre au bercail ! Comme une sortie courte. Tu vois, ce n'était rien ! Juste un chameau de bosse !
Poudrerie. Presque explosée. Jean-Marc me fait la visite. "Bon là tu n'y vas pas toute seule hein ?! Y'a des montreurs d'ours ! " Il arrive à me faire rire. Et puis doucement, tout doucement, je raccroche le devant qui se meure. Le devant du devant se traîne aussi. Le suivant s'arrête, repart, accroche. Je limace à 5'40, 5'50, mais l'honneur est sauf. Mon adorable ouvreur file vers l'arrivée pour m'y cueillir.
Ma famille est là. Plaisir.
2h55
3 ème féminine au classement général.
Maman fait un podium. Course mesurée. Exercice difficile pour la maniaque de l'allure que je suis. Je fais mes gammes. Étoile décrochée. Un échelon après l'autre. Pas de course au plus. Juste une course au mieux, au différent.
Découverte d'un milieu peuplé de gens simples, bons, brillants. Coureurs ordinaires ou champions tricolores, chacun apporte sa pierre à l'édifice de ma conviction.
La course à pied, ça fait grandir l'humilité !
 Comme à Buckingham. Chauffeur et balcon. ( Photo en course Jacques pour Running mag . Photo podium Jean-Marc )

































Merci à Run-n-trail - Organisateurs de course et équipementier pour clubs - pour le dossard et pour sa confiance.
Merci à I-Run pour la dotation podium.
Merci aux géniaux bénévoles !
Merci à Marianne Vibrez Montagne pour son initiation trail.
Le maillot  de trail c'est du joli Errea, bien taillé, bien pensé.
Merci au fantassin Laurent et au cavalier Jean-Marc, tous deux charmants.
Bravo à tous les coureurs adorables de "Run in Toulouse " et en particulier à Sebastyen.
Pour les jambes qui progressent de 42' sur le trail urbain Toulousain. C'est bibi.







mercredi 15 avril 2015

Paris pris

C'est une question triviale que je me pose en entrant dans le sas.
15 runners. Mais surtout, surtout, des runneuses.
Une bonne quinzaine, peut être plus, si on ne compte pas les resquilleurs, les copines de la copine qui tenait la place "T'as pas vu j'ai mis mon pied".
Départ dans 30 minutes.
Aurai-je le temps.
Dussé-je arroser le martial pavé des Champs Elysée, je me soulagerai avant le coup de feu de dame Hidal-go.
Aso, tu es mignon, un peu plus de cabanons au fond de l'enclos. Tu notes ?
A 9 heures Hélios nargue déjà. Paris dans sa splendeur. Liesse. Bourdonnement des clameurs en mille langues. Athlétique Babel. Les coeurs eux se comprennent.
Visages détendus. On fait mine d'ignorer. 42,195 kilomètres de bitume pavés parcs bois places ronds- points virages berges lignes infinies, tunnels noirs montées criminelles, descentes salvatrices, rien, trous noirs, lumière ligne bleue, ligne bleue, puis délivrance.
Le marathon est une succession de brefs souvenirs sélectifs. Un stroboscope d'émotions. Une partie d'échec contre soi même.
Je piaffe. Racle des sabots. Vrombis.
Pas le temps de me placer devant les meneurs d'allures. 
Première tâche du jour, dépasser la plume des 3h45, me placer au large. Ma mission, si je l'accepte, ne jamais me laisser rattraper. 
Le marathon c'est un "chat" qui dure quelques heures au fond. Une récréation !
J'avais prévu d'ouvrir les yeux en courant Paris. 
Je n'ai pas vu les Champs.
10 mètres de pavés. 20 à tout casser. Je descends sous les 5' au kilomètre. A la Concorde j'ai dépassé le troupeau du berger meneur, je suis dans les cordes. Rivée dans Rivoli, risette à la pucelle, pas de tuile aux tuileries, Louvre y es-tu, Châtelet vers les Halles, ce départ est royal.
Ferveur de Paris. Les vivats augmentent à l'Hôtel de ville, se mêlent déjà à Saint Antoine. Un trait dessiné dans l'histoire de Paris entre Saint Jacques et la prise de la Bastille. Ah ça ira ça ira,  ma tête en ce jour sans cesse répète !
J'ai comme une absence. On a collé le bois en lisière du Marais, c'est marrant. Bastille et Vincennes ne font qu'un. C'est Fort !
Je crois qu'on a un peu monté. Oh presque rien. Une pente juste assez fourbe pour que mes pieds ordonnent à ma tête une petite mise en apnée.
Ami coureur, je te recommande l'absence ! C'est pratique. Un peu étrange. Paris en ce 12 avril réserve des surprises : La tour Eiffel par exemple a pris ses jambes à son cou. Je t'assure qu'elle n'y était pas ! Traître. 
Le bois de Vincennes est ma demeure. Témoins de mes premiers pas. J'y suis chez moi. Dis bonjour au allées, aux arbres, à l'herbe au ciel bleu et aux sonneurs de trompes.
Avenue de la Gravelle - Tu fais moins la fière vers Paris ! légèrement descendante, vengeance sur le semi !
J'ai le nez dans le chrono. Appliquée à tenir mon allure. J'avais promis du 5'20. Oui mais je suis bien en 5'10 ! Semi. Échauffement terminé. Analyse rapide. Rien à déclarer.
Les bourdons célestes de Notre Dame sonnent à pleine puissance. Que Paris est donc une fête !
Les quais sont envahis. Familles, musiciens. Premier dimanche de vrai grand beau, Paris libéré !
Un crève coeur de plonger. Voies sur berges tant redoutées. Je vais bien. Tout va bien.
Le GPS me perd. Foulées à tâtons. Musiques électriques, concertos classiques, rayons verts, moteurs de monstrueux ventilateurs. Au fond la lumière. Viser la sortie. Il faut ressortir, happer une goulée d'air, faire provision des confettis d'encouragement hurlés en pluie par la foule en grappe accrochée au bastingage, puis replonger. Tunnel, sortie. Alma, 1, 2 3, treizième pilier. La carrosserie tient la route.
Il n'empêche. J'ai perdu ma rétine en sous sol. Je n'ai pas vu la dame de fer. 
Rien à faire.
Mais le mur n'y est pas non plus.
Je vogue. Nez dans le bitume. Depuis le départ de course je remonte le courant. Sans cesse en alerte, annonçant d'un mouvement de main mes décrochages droite ou gauche, lançant au train avant mon intention de doubler. Je ne cesse de louvoyer. Accrochant au mieux ma sacro-sainte ligne bleue. Je la perds parfois, la raccroche souvent. Fil d'Ariane de l'Etoile à Foch.
Lulu, ma prunelle, ne fait pas grève. Dépassé la maison de la radio elle est là, mon amie, fidèle au poste. Si je pouvais la porter sur mon dos ! La vie n'est pas vraiment juste.
La faucheuse d'allure persifle dans mes jambes aux abords du périph. L'aiguille flanche. Légèrement. Très légèrement. 
Vigilance ! Tu crois quoi ? Un mur au 36. Ridicule !
S'il faut verrouiller, je verrouille. Apnée. Bois de Boulogne. Connais pas. Je ne dis pas bonjour aux allées, ni aux arbres, ni à l'herbe, pas même au ciel bleu et aux sonneuses de trompes !
Dauphine. Obsession. 
Pardon aux gens. Pardon les amis qui flanchent. Je passe. Je bouscule un peu. Pardon à toi, arrêté net, juste devant moi. Pardon pour mon mouvement d'humeur. Ce n'était pas moi. C'est mon robot. Celui qui avance tout seul, qui ne réfléchit plus.
On entend la ligne avant de la voir.
Elle enfle, elle ondule et promet mille et une ivresses.
Je connais mon chrono. Il est beau. Bien plus beau que ce que mes prévisions avaient osé avancer.
Je voudrais rembobiner. Je crois ne pas avoir assez gravé.
Souviens toi de la clameur. De tes battements de coeur. Des poings levés. 
Fouler le tapis rouge*. Je voudrais tout. Figer le temps, aller plus vite, regarder, rire beaucoup et pleurer un peu.
Personne au bout en particulier mais une capitale à mes pieds.
J'embrasse au hasard
 - Ah, mais bonjour monsieur Chauvelier ! ;) -
Titube un peu.
Sonnée à peine.
Heureuse surtout.
3 heures 38 minutes et 55 secondes
Second marathon.
Merci Paris !

* Et sinon pour le petit matos qui va bien, c'est du Errea ( le t-shirt qui a fait ses preuves au marathon de Toulouse ) Asics pour les running qui fendent l'asphalte et Flip-Belt pour la très très girly et ingénieuse ceinture fourre -tout y compris l'AïePhone et la cargaison de gels High5.

* après vérification scrupuleuse et raisonnée, le tapis est vert. On ne peut pas courir et penser aussi…





mardi 24 mars 2015

Swimming poule

Et puis un jour je sens comme un flottement.
Un je ne sais quoi en amont qui ne tourne pas si rond, une vague sensation de dérive.
Pour éviter la chute et le puits sans fond des voies d'eau musculaires j'accorde une concession à mon plan mare à thon bien huilé.
Palmes maillot bonnet de caoutchouc lunettes. Naïade (mi ). Ah que je me marre.
Je plonge dans ce grand bain qui me fit frissonner (d)égout  jadis.
Bassin municipal. J'ai des goûts de pool de luxe. La piscine c'est pas mon chott.
"Mais dans quel estuaire ?!" Me dit en amont mon capitaine hydrophobe.
Je lui dis "file et merci " Je n'écoute rien et il s'en trouve un peu saumâtre. Faut dire que je le bassine assez avec mes ronds dans l'eau et mes vagues à l'âme. 
Je barbote maladroitement d'une ligne à l'autre, canard boiteux dans un jeu d'anguilles. On m'envoie dans la rangée du fond sous un déluge de désapprobations. Je gagne la palme de la mise à l'eau foireuse : le maître nageur dolent et bedonnant - bouée intégrée- doit me trouver totalement siphonnée .
Je me repêche une conduite en me canalisant sur mes longueurs.
Au fil de l'eau le charme opère.
Je me laisse submerger par l'élément liquide.
Le flot torrentiel du débit de décibels jaillissant de la coulée visqueuse de collégiens morveux en slip de bain disparaît en une immersion.
Les milliers de bulles de sons affluent en sourdine, ricochent, se cognent et rebondissent, jouant des battements de mes bras et de mes jambes, chatouillent mon visage qui respire, plonge souffle, respire plonge et souffle, provoquant une nouvelle cascade de myriade de perles d'eau emprisonnant d'autres variations rondes et moelleuses, préludes à une nouvelle plongée d'émotions aquatiques.
 La truite papillonne.
L'heure passe en brassées et retours, les mouvements sont limpides et je m'abreuve de cette nouvelle source de renforcement musculaire. Redoutée hier, je découvre dans la séance de piscine un vivier de bénéfiques exercices, qui passent sans heurts et reposent mes jambes malmenées parfois par des séances   trop poussées.
Swimming pool au compteur. C'est dit. Le mercredi. Pendant que les têtards grenouillent au petit bain.
-Je vous laisse. Ondine -
(Si c'est pas de la chute de rien…)

mardi 10 mars 2015

Parier à mes pieds

Une date cochée sur mon calendrier.
Floue. Loin. Il fallait réserver, c'est fait et on oublie.
On oublie façon Vénus. A savoir, on met ça dans un tiroir. On dit qu'on oublie. Mais on l'ouvre souvent le tiroir.
Et puis à force de faire semblant d'oublier, on se cogne au juste avant.
Course moins quelques jours.
C'est même pas une course de fou. Même pas un marathon. Même pas d'impossible, pas de déraisonnable. Même pas d'exotisme.
Mais c'est la course qui t'a fait basculer.
2h 17 le nez dans la route. Il y a deux ans. Première compétition.
Celle par quoi tout a commencé.
Je m'en fichais pas mal au départ. Un week-end en roue libre.
Mais Paris et mes pieds, c'est une histoire de premier amour.
J'avais commencé en octobre par le stade. Le bois n'était pas loin. Mais c'était déjà trop.
Peur de ne pas revenir.
Peur du grand méchant  loupé.
Vincennes est vite devenu pourtant mon terrain de jeu.
Couru en long en large, en allées et en venues.
 Accompagnée le matin tôt par l'armada d'athlétiques pompiers en exercice, maîtres chiens, gardes républicains, courageux promeneurs matinaux, clubs seniors de marche Nordique, mamans énergiques en poussette, travailleurs, élagueurs, canassons, canins, camés, oiseaux de fin de nuit, oisifs ou paumés.
Vincennes. Un monde.
L'oeil du cyclone événement course à pied. Dimanche.
8 mars. Ciel azur.
Paris aux semis colorés.
Pari gagné pour semi printanier.
Je trotte de Daumesnil jusqu'au départ de course, passant par le rocher de Vincennes sur les traces de mes futures foulées.
Pas un regard vers le château, je laisse la foule derrière moi et me place sereinement dans mon sas  au moment du coup de feu des élites. Elles arriveront avant même le départ de la queue de ce peloton aux 36 000 sportifs.
Mes voisins sont pressés. Un peu tendus. L'ambiance de tête de course est moins joyeuse que l'arrière. Tempêtes de calcul d'allures sous crânes de coureurs pointilleux. 
Une brochette de trois jolies blondes lookées se tient prête sur la ligne régalant le cordon de jeunes pompiers réjouis ouvrant la marche.
Départ fluide. Je suis agréablement surprise. Je gardais en souvenir un début de course poussif et étouffant, troupeau d'éléphants au millier de piétinements, cligno à droite, gauche, droite, talons bras et coudes cognés.
Nous déboulons rapides et graves. Souffles posés, serrant l'intérieur des virages.
Trop rapide. Je maintiens mon allure soutenue par le rythme ambiant, et raison et tentation se chamaillent in petto la marche à suivre.
Continuer au delà de mon temps prévu. Risquer la panne. Sur semi, péril limité.
Je ferme au 5 ème kilomètre la boite à questions . Advienne que pourra. Je continue en sur-régime .
La route colle déjà. Imperceptiblement. Le moindre faux plat plombe la semelle. Les encouragements ponctuels sont autant de coups de fouet, mais les quelques passants pressés et irrespectueux qui traversent, parfois fiers et dédaigneux, provoquent des suées dont on se passerait bien.
Je suis bien trop concentrée pour apercevoir les deux personnes qui me sont chères qui traquent mon passage. Mais je sais qu'elles sont là. Esprit focalisé sur un bon chronomètre que je pourrais épingler comme une jolie note sur un bulletin abonné au "peut faire mieux". 
Paris me semble floue. 
Est-ce moi ou ce trajet inversé qui cette année nous fait remonter le quai des Célestins, effaçant ainsi une si jolie vue sur l'île de la cité, et le salut dévot à Notre Dame ?! 
Paris est dans mon dos et je ne l'ai pas embrassée. Je remonte déjà vers le bois et je traîne un peu les pieds. Je m'accroche à l'idée de doubler encore. Une jolie athlète devant moi s'arrête net sur la chaussée. Les épaules basses certains, las, abandonnent.
La route de Gravelle déroule son monotone bitume, je cramponne les pieds de devant, passant d'une roue à l'autre, sans réussir à me fixer un lièvre. Aucun rythme rectiligne, cette fin de course est une montagne Russe d'allures anarchiques.
Paquets de voix dans le dos. Un meneur d'allure et sa troupe sur mes talons.
Vexée à l'idée de me faire damer le pion par la flamme 1h45 partie bien après moi, je me cogne à cette garce de volonté qui tend à se payer le luxe d'une fugue en sol dérobé majeur au moment où j'en ai le plus besoin.
Accroche, accroche. La flamme passe, fière et encourageante. Je lève un nez dépité sur…un sublime 1h40 que je croyais loin devant !
Efforts désespérés. Ma Garmin joue la montre contre cette frontière du 5' au km. Elle lui tourne autour et j'assiste impuissante à un chassé croisé sauvage d'allures sur fond de "Thunder road".
Sourire libérateur pour la photo. Ligne.
Tilt.
Effacée la peine. En quelques mètres marchés.
Les résultats sont tombés.
Je réalise. 
1h 40 minutes et 54 secondes.
Idiote ! J'aurais dû saigner pour 55 secondes de moins !
Paris. Seine de prime. Record de chrono. 
Marathon, j'arrive !





lundi 9 février 2015

Vent de boue

Je grenouille dans la grande halle froide de Lévignac.
Les pieds glacés. Je traîne des grumeaux de boue. Crasseuse jusqu'à la moelle. Essayant avec peine de court-circuiter cette double crampe qui s'accroche aux mollets.
Forest Trail.
Je suis. Heu-reu-se.
Encore surprise d'être déjà là.
Je devais courir 25 kilomètres, je n'en ai fait que 21. Malgré un coup de belle grosse fatigue au 17 ème, je finis alerte et un peu chiffonnée de ne pas avoir flirté avec ce grand mur nocturne. Passe muraille, ce sera pour la prochaine.
Les rumeurs circulent déjà. Les élites arrivent à peine. Certains coureurs reviennent de 29 kilomètres.
Erreurs de trajectoires à la pelle. Le classement ne veut plus rien dire.
Nous nous étions étonnés, avec une brassée de compagnons de galère, de cette blague un peu déplacée des gentils bénévoles au ravito.
" vous êtes sur le 25 ?… Les élites ne sont pas passées ! "
La gorgée d'eau glacée en travers de la gorge tu ricanes à la farce . Nous accordons nos montres. Pas d'erreur possible.
Et puis.
Je me fiche bien du tableau de chasse.
C'est un étrange plaisir que celui de se faire violence.
Je savoure les battements de coeur imperceptiblement accélérés à l'approche de l'épreuve.
Méticuleusement préparer l'équipement.
Arriver sur zone à l'avance. Prendre le pouls.
Les amis se retrouvent. Tuant le temps en blagues potaches. Comparant la qualité d'un Gore tex, l'accroche d'un crampon, l'esthétique d'une chaussure. On s'amuse à imaginer un après. Uniformément glaiseux.
Le placide lit un pavé, la tête dans la baffle qui crache une ambiance de boite de nuit.
L'inquiet refait dix fois ses lacets. Le méticuleux place son dossard sur un justaucorps soigneusement lissé. Celui là teste sa frontale quand l'étourdi fait la tournée des candidats pour glaner des piles de rechange.
Je patiente. Un peu froid.
Il faut prendre place.
Fini le sursis. Rentrer dans l'ambiance.
Le ciel danse sur le fil du zéro degré. La nuit est vide. Pas de vent, pas de neige ni d'eau ni d'air.
Elle retient son souffle. Nous remplissons l'espace de notre impatience, sourire au voisin, tapes dans les mains, rires, voltes et entrechats pour échauffer les jambes.
Je me glisse au premier rang. J'y retrouve une force rassurante. Un ami coureur, un vrai de vrai. Nous plaisantons face à la caméra qui nous aveugle, essayant vainement de recueillir un témoignage sérieux sur un entraînement qui ne le fut pas.
Le clocher sonne. Deux fois 19 heures.
Un temps suspendu et les fumigènes écarlates ordonnent la charge.
Une grappe d'enfants joyeusement différents de l'association l'Esperluette ouvre la marche.
Scintillantes secondes d'un départ aux flambeaux entre insouciance et appréhension.
Je me laisse porter par un départ ambitieux. je prends ma part de fête. Je déchanterai plus haut. Tout plaisir est bon à chaparder. Nous nous lançons des "bonne course !". C'est chacun pour soi et on le sait pourtant, que si l'un de nous venait à faillir, il y aurait toujours une main secourable pour nous sortir du ruisseau, prodiguer un encouragement, pousser, tirer, indiquer amicalement la sortie de l'ornière.
La route se resserre vite en un chemin copieusement gras. La foret ne tatillonne pas. Elle offre sa fonte de neige dans toute son humide naturalité. 
J'apprécie dès l'entrée en matière l'efficacité irréprochable de mes nouvelles merveilles de chaussures Salomon. Le pied accroche un terrain plus que fuyant. Je prends les  glissants virages, les gras creux et les spongieuses bosses avec confiance, le regard dans la carrosserie du devant, maillon d'une chaîne de fadas qui beuglent comme à la holà en écho, des "racine !" "tronc" "flaque !" "branche!"…
C'est au 5 ème kilomètre que nous passons, allègres et amusés un beau tronçon d'une centaine de mètres de lit de rivière. Entrée en matière. De l'eau jusqu'aux cuisses ! Nous ne nous y attendions pas. Et pour cause. Sur le papier, il fallait la longer cette rivière. Cette plongée en eau trouble sera le départ du début du raté. Nous serons de la vague des coupeurs de boucle, sans chercher à le vouloir, puisque le balisage nous indique la marche à suivre quand le pied retrouve la terre ferme…
ferme. Molle. Ok. Mouvante.
Quand la tête a envie, elle se fait fi de l'état de la machine. L'inverse est vrai aussi.
Rétrospectivement, se dire qu'on s'ébat tout guilleret, léger vêtu et trempé d'eau glacée dans une foret à l'heure de la tisane des braves et des flambées de cheminées, c'est un peu invraisemblable !
Le passage d'une buse nous égaye tout autant. La caméra-reporter nous fait de l'oeil au tournant. Pouces levés. Droit devant.
J'aime ce moment, presque soudain, où le silence s'impose. L'euphorie s'efface laissant la place au laborieux.
Le corps réalise qu'il devra s'accrocher. L'esprit ajuste son faisceau, attention maximale. Il ne s'agit pas de poser le pied mal. L'intuitif cède sous la pression de la fatigue.
Il est un moment entre deux états. Continuer à courir et à chaque pas se demander si il n'est pas de trop. Verser dans le décor mènerait hors course. Il faut suivre le devant qui suit aussi, je le sens, son devant.
Le silence berce les corps. Résonnent quelques éclats. " attention !" "ruisseau !". Encore. 
ma montre scande les kilomètres. Concentrée sur ce chemin si étroit, attentive à baisser la tête devant les arbres qui se referment, l'esprit éveillé juste assez pour éviter au sortir d'une épingle à cheveux, de verser dans un fossé d'où j'aurais du mal à m'extirper.
Un coureur malgré une méchante crampe, rit les fesses plantées dans la glaise. Ses coéquipiers se sont arrêtés pour lui.
Celui là les mains dans la terre cherche à tâtons sa montre perdue. Je sors de 500 mètres marchés afin de récupérer. Coup de fatigue du 17 ème.
Regard circulaire, avant qu'un troupeau ne vienne la piétiner, je récupère la Garmin condamnée à l'ensevelissement. Le clin d'oeil est suffisant. Sourire au naufragé du GPS et je redémarre.
Je ne marcherai plus. Persuadée de me relancer sur 7 kilomètres restants, je double des coureurs de la boucle du 12 kilomètres qui semblent étrangement épuisés !
Et pour cause.
Nous descendons vers Lévignac !
Déjà.
Je doute encore quand une main se pose sur mon épaule.
" On finit au sprint ? Tu peux le faire !"
Est ce qu'il est d'autres situations, de ces parenthèses si difficilement exprimables, où ton voisin, peu importe qui il est, te prend par la main et en un mot, se porte garant d'un plaisir indicible ?
Je doute encore quand il m'assure qu'il reste moins d'un kilomètre. 
Je fais confiance.
Et j'accélère.
Je me souviens de ce tunnel forestier sombre et pourtant si rassurant.
De ces lumières chaloupées, de ces encouragements, des jurons, mais des rires souvent, portés par une nuit d'hiver opaque et si étrangement chargée d'ardeur.
Je me souviens comme j'ai eu froid, soudainement arrêtée, malgré les visages lumineux au dessus des corps crasseux. Je me souviens comme il est bon de se savoir capable d'une telle traversée, frustrée un peu, d'avoir tronqué sans le vouloir, la boucle promise.
J'ai parcouru 21 kilomètres nocturnes de boue, de ruisseaux et de sous bois en  2 heures et 32 minutes.
Je n'ai aucune idée de mon classement. Il ne veut rien dire.
Ce qui compte c'est de s'étonner, comme à chaque course, que des passionnés puissent vous faire vivre de tels moments. Des parenthèses de sport, d'amitié et de fierté partagés.
Vent debout 
pour une jolie humanité.





Crédit Photos Running Trail
et Running Mag. MERCI.

…Un pied de soldat inconnu qui résume bien la course ;)

lundi 19 janvier 2015

De boue en bout trail nocturne

Ce n'est pas raisonnable je sais.
me voilà déjà en prépa marathon. Travail de VMA.
Mais c'est la saison de la boue. Et je voulais savoir si j'y suis à glaise .
Je m'y oins crescendo. Trail des berges. Boueux.
avant-hier, trail des rois de Villemur-sur-Tarn. Boue. Heu. Boueux plus.
Bientôt la Forest. Le plat de consistance.
La nuit neutralise les appréhensions. Elle exacerbe même l' instinct de boue-garou qui sommeille chez le traileur.
Les loupiotes s'impatientent, sautillent sur le départ. Le vin s'échauffe. Il sera prêt, à la louche pour les premiers glaiseux, les têtes de classe, dans une heure.
Je suis novice. Je m'élance sans crainte, essayant d'appliquer les conseils des grands en me propulsant à bonne allure sur les deux premiers kilomètres de bitume.
La sélection naturelle se fait dès les berges du Tarn, jolies vicieuses. 
Le fun commence ici. 
Les boucles ponctuées d'escaliers sont animées par un village amusé. C'est la première version nocturne de la course et le traileur fait sortir le curieux de sa coquille chaude.
Je me retrouve rapidement au coeur d'un petit peloton exclusivement masculin. Nous courons boue contre boue sur une valse de 11 kilomètres de chemins bourrés d'ornières, de descentes hasardeuses et de montées silencieuses.
Les jurons accompagnent parfois les chutes souvent cocasses, aucun n'est épargné. Je découvre le plaisir de penser sa trace. Sans visibilité, le choix est cornélien. Coller à la semelle ou se détourner. Choisir la sécurité toute relative du tracé du coureur qui nous devance, ou tenter une échappée au risque de choir dans le fossé.
Le rythme me convient, je ne force jamais, peine comme mes compagnons de galère et jubile les descentes parfois à la limite du raisonnable. 
Béni soit le fractionné. La montée bitumée de milieu de parcours ne m'arrête pas. Elle me fait gagner les places perdues sur les chemins. L'asphalte me repose, me donne le souffle nécessaire pour la nouvelle bourrée du Rouergue.
Le bénévole nous redonne des ailes sur chaque bifurcation - souvent en épingle à cheveux - Chapeau à eux, sous cette pluie fine, le confort leur est bien relatif.
La descente sur le village éclairé pour l'occasion me laisse présager de l'émerveillement ressenti par les mangeurs de dénivelé, au terme d'une nuit de grimpette. Petite ivresse de la nuit et du devoir bien accompli.
Le local jovial colle un vin bouillant entre mes mains pâteuses. Et la lumière fut.
Je constate ébahie que je suis la septième féminine à arriver. Première vétéran 1.
14 km / 1h31
Podium.
Je ne risque pas de bouder…mon plaisir !







Photo escalier Running Mag

dimanche 11 janvier 2015

CAP espérance

Passées les laborieuses premières fois, quand le souffle s'apaise, quand le moteur est rodé. Lorsque les jambes ne souffrent plus et que le coeur ne s'emballe pas. Passés ces moments de doute, de pourquoi et de comment, quand la bascule se fait et qu'on relève la tête en s'avouant enfin qu'on aime.
Quand je cours et qu'enfin je vois.
L'horizon sort du cadre et me donne un choix.
Si je veux j'ouvre les yeux. Je souris aux gens, je sollicite le regard du passant. D'un infime signe je lui fait comprendre qu'il ne m'est pas indifférent, qu'il est de passage sur ma ligne de vie et que je l'aime pour cela. Il partage ma route, une foulée en commun, il est de mon paysage, visage fulgurant oublié si vite la plupart du temps, mais le fait seulement d'avoir traversé mon champ de vision au moment où je n'avais comme seule préoccupation de n'avoir qu'à regarder, suffit à faire de lui un hôte de ma vie.
Si je veux je me ferme.
Je fais le vide d'atmosphère et je gravite dans un univers qui n'appartient qu'à moi.
Si je veux je pense.
Je pense à moi. Les maux surgissent, troublants et mauvais, déformés par l'égocentrisme qui fait enfler comme une peste tous les grains de sable de la machine à aimer. Si je m'écoute, je m'arrête.
Si je veux je me referme. En apparence.
Si je veux je pense.
Le monde prend une place infinie avec ce qu'il a de plus beau, mais de plus laid aussi.
Parce que courir c'est prier. Pour moi ça l'est.
Prenez le comme vous voudrez. Mon histoire de course est liée à la force venue d'une âme.
Quand je cours je suis tout le monde. Je suis ceux qui vont mal, je suis ceux qui jubilent, je suis ceux qui crèvent et je suis ceux qui luttent.
S'indigner est juste cause. Mais les mots peuvent tuer, comme les images mille fois repassées sur des écrans assassins imposés aussi à des âmes en loques.
Hier des blessés. Victimes de barbarie, aujourd'hui à peine relevés, qu'une armée de justes soutient, patiemment démontrant qu'une fenêtre ouvre parfois sur du beau. En quelques heures, moins, fauchés par l'horreur des traumatiques souvenirs étalés, encore, encore, encore.
Aujourd'hui comme hier, courir me donne à être. Je m'indigne en silence, j'espère en un souffle.
Courir est mon cri. Une profession de vie.