Parce que mes pieds sont têtus.

mardi 28 octobre 2014

42,195 bornes (not) Toulouse *

C'était comme un liquide.
Velouté, chaud et onctueux. 
Comme une coulée de lave. Épousant les contours, suivant un chemin dont toutes les bordures se plieraient sans broncher à la puissance de la poussée radiante.
Pas d'obstacle.
Mes sens en éveil tournés vers l'intérieur et ne laissant filtrer que les vibrations d'un public généreux et festif.
Je n'ai pas rencontré de mur. Je n'ai jamais soufflé. Jamais eu mal. 
J'avançais, d'une cadence quasi égale, à mesure que défilaient mes 42,195 kilomètres, tronçonnés méthodiquement en portions de 5.
Avais-je prévu cela ?
Plonger dans un premier marathon c'est d'abord se confronter aux multiples avis plus ou moins éclairés de ceux qui vous entourent.
Il y a ceux qui vous aident. Qui savent par avance. Vous n'entendez qu'eux. Vous avez le devoir de n'entendre que eux.
Je cours depuis deux ans. Octobre à octobre. Je n'avais pas le droit de parier sur quoi que ce soit.
Mais j'avais l'envie. 
L'envie et le besoin, deux piliers sur lesquels j'avais greffé un devoir.
Une belle étoile a fait le reste.
J'applique méthodiquement les conseils nutritionnels prodigués par des vieux briscards de la course.
Je ne néglige ni mes rations de pâtes et de boissons chargées en glycogène, ni mon sommeil, ni le rituel de la préparation quasi dévote de ma tenue de course.
Je me souviens de cette veille de saut en parachute. Étonnée d'être aussi calme quand je sais que mes oreilles risquent de se désintégrer en vol et que je vais basculer dans un vide de 5000 mètres.
L'extra ordinaire m'apaise.
Il faut croire.
Il fait beau sur le départ. La masse est en liesse. Vrombissante. Aiguillonnée par une voix de blockbuster qui fait frissonner le futur marathonien.
Le peloton s'écoule. Il semble fluide et uni. Il est composé pourtant d'éléments disparates.
Certains pensent déjà leur course. D'autres panseront des plaies plus tard, faute de n'avoir pas assez raisonné leur départ.
Au large des meneurs d'allure 4 heures, je m'étonne in petto d'un départ relativement rapide et je me verrouille très rapidement sur un rythme qui s'adaptera tout le long du ruban bleu à mon état de forme physique et mentale que je m'applique à analyser très régulièrement.
L'autre n'est plus qu'une image brouillée. 
J'ai du mal aujourd'hui à parler de cet espace temps indéfini dans lequel je traverse les 30 premiers kilomètres de ce marathon.
Je n'ai pas de jambes, pas de bras, pas de tête. Je suis un élément semi-liquide qui s'écoule à la vitesse de croisière de 11 km par heure.
Est-ce si étrange de s'être préparé à ce point à une chose et de l'épouser aussi facilement comme une robe sur-mesure ouvragée à la couture près ?!
J'ai travaillé mon allure. Mon souffle, mes battements de coeur. Ils sont devenus mes essentiels. 
Au 30 ème kilomètre je pointe un nez hors de ma sphère pour voir si le mur y est.
Je discerne les coureurs.
Les douleurs font peine à voir sur certains. C'est ici que le mal arrive. Sans prévenir.
Des athlètes qui pleurent. Inhabituel.
Un papa pousse sa fille adulte et handicapée en fauteuil. Oui je me souviens. Il m'a dépassée au départ.
Quel courage. J'admire et je le lui dis.
Ne marche pas. Toi, le costaud ! 
Merci les bénévoles ! Et vous, qui jouez pour nous ! Je vous entends depuis ma bulle ouatinée.
Vous êtes le carburant de ma foulée huilée !
Je bois sur chacun des ravitaillements. Méthodique. 5 km un gel de sucre ou une pastille de sel et de l'eau. 5 secondes de marche. Pas plus. Et ça repart.
Coup d'oeil au GPS. Je reprends le rythme en 10 secondes, regard pointé sur les 5 kilomètres suivants.
A dix kilomètres du Capitole, j'envisage de commencer à courir. Je veux dire. De commencer vraiment à courir. 
Kilomètre 32, je vise définitivement moins de 4 heures.
Imperceptiblement j'accélère le rythme.
J'entends le fracas des percussions des joueurs de rue, le cri des enfants, les bravos des passants.
Je m'ouvre au public. Je commence à penser que je le mérite peut-être !
Je rentre dans une fête. Toulouse est un chapiteau coloré et vibrant du soleil apporté par tous ses habitants !
Je ne me situe plus sur un plan géographique, mais dans un espace tridimensionnel.
Je tends vers un point, poussée par le bitume et le ruban de sourires de ces gens qui prennent place dans la géométrie de mon espace. Le coureur devient au choix, l'obstacle à contourner, l'ami à encourager ou le concurrent à dépasser.
Je fais un signe aux amis qui me font la joie de pister mon passage. J'ai envie de leur hurler que j'apprends à voler !
Je suis une balle traçante . Je fends la foule. Je le crois ! Je le sais ! c'est mon bouquet final, mon graal !
Le hurlement qui percute mon tympan anesthésié par la liesse me rappelle le premier des fondamentaux : Un marathon n'est jamais gagné !
C'est un colosse qui se tord de douleur sur les abords du Grand rond. 3 kilomètres. Il reste si peu de distance ! 
Les secours sont là. J'ai tellement mal pour cet homme là !
J'exécute un dernier point mental sur mon état physique.
Je suis insolente de bonne forme.
C'est décidé. J'accélère brutalement. Je suis joueur d'échec. Je dame le pion !
Le cour Alsace-Lorraine défile à 13 kilomètres heure. Ma vitesse en fractionné.
J'ai 40 bornes dans les jambes et je ne les perçois pas.
La foule est compacte. Je ne la vois pas. Je la sens vibrer.
Je suis une machine. Aucun sentiment ne me traverse. Les bravos des spectateurs ricochent sur mon crâne comme autant d'électrochocs qui emballent mon moteur.
J'ai réussi. 
Envie de hurler.
42,195 bornes en 3h,  52 minutes et 46 secondes.
Une histoire d'amour qui commence.

*Forcement…Je ne pouvais pas ne pas la faire…Je sais. Petit. C'est petit ;)


37 km. Merci Laurent ( un grand pro de la CAP ! ) pour la photo !

Temps au chrono - départ de course - . Temps réel FFA 3h 52' 46".




Données de course. Métronome. Garmin


"A n'ouvrir qu'après la course" Colis clin d'oeil de mon adorable amie et fantastique blogueuse littératro-runneuse Galéa

17 commentaires:

  1. Bravo Sophie ! Ton récit est magnifique, vibrant !
    Et question : as-tu fumé la cigarette de Galéa ?

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  2. C'est fou!!! J'en ai les larmes aux yeux j'ai l'impression d'applaudir et de crier avec la foule!!! Bravo bravo bravo c'est magnifique!!!!

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  3. Une fois de plus ton récit me laisse les larmes aux yeux....
    On l'impression de courir avec toi quand on te lit....c'est extraordinaire !!
    Quelle va être la prochaine étape ?
    Tu dois être tellement heureuse !!
    Merci d'avoir partagé tout ça avec nous !!
    Bon, mais c'est pas tout....maintenant, moi je veux un patron huhuhu !!!

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  4. Bravo Sophie
    J'ai été très émue en te lisant.Tes mots flottent avec tant de légéreté. Comme tes kilomètres sur cette épreuve olympique.Tu as tout maitrisé. De bout en bout. Tu n'as rien négligé et tu as attendu patiemment. La marque des marathonniennes. BravOoo

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  5. Super ! Quand on te lit, on a l'impression d'être dans tes runnings roses ! On croirait presque que c'est fastoche ! Merci pour ce joli partage, et cette belle maîtrise de la course...et de la plume ! Je suis comme Catherine, et pense que tu vas être en forme olympique pour un nouveau patron ;-) ...En attendant, bonne récupération, bien méritée :-)

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  6. Quel récit Sophie, j'ai presque perdu mon souffle!!!! Tu étais vraiment dans une forme incroyable, superbe préparation, et un mental de marathonienne, m'étonne pas du tout!

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  7. Je me suis glissee sur ton soufle.tu es magique.quelle aventure!
    Tes mots donnent tellement envie...mais on sent et on sait tellement de preparation derriere.
    bravo encore championne!
    maintenant savoures!

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  8. Merci pour ce récit, c'est splendide et je suis épatée par ta ténacité pour ce premier marathon que tu finis haut la main. Le principal est de le finir mais tu le finis en plus avec un chrono qu'il est beau. Encore une fois, Félicitations, quelle belle expérience qui pour moi est un rêve que j'aimerais tant réaliser un jour. J'espère continuer sur ma lancée et de continuer à courir toujours plus loin, plus vite. J'ai aimé ta façon d'écrire tout ça, la manière que tu as de décrire comment tu t'es mis dans ta bulle et le "je suis une machine". Effectivement, courir, c'est un peu ça, multiplié par je ne sais combien lorsque tu marathones.

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  9. Waouah quel temps de fou pour un premier marathon, tu peux être très fière de toi d'être allée au bout. J'ai l'impression que tu y as pris gout et que tu vas vite recommencer ! Bonne récup maintenant et à bientôt

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  10. C'est clair maintenant!!!!!!....... nous n'avons pas vécu la même aventure! Et c'est tant mieux! je ne suis pas jalouse non! même pas!!!! hahaha! je suis juste super contente pour toi. Evidemment, je connaissais ton temps avant mon départ, j'y ai pensé pendant ma course mais je n'avais pas lu ce récit avant... et heureusement je pense. encore un grand bravo miss!

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  11. Bravo ! J'étais à Toulouse samedi dernier. Je suis allée me promener dans le petit village marathon et forcément, j'ai pensé à vous. Et j'ai su que vous étiez allée jusqu'au bout grâce à Galéa.

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  12. c'est un récit de rêve ! je sais maintenant à qui je m'adresserai pour les conseils !

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    1. Merci ! Oui une course de rêve. J'ai déjà couru dans "le dur" auparavant, et ce qui est "drôle", c'est que je qualifie aussi ce trail de 33 km qui m'en a fait voir comme une course de rêve : A chaque épreuve on se confronte à soi. Je crois bien que j'ai beaucoup encore à découvrir, mais je peux donner bien sûr les quelques éléments qui, je sais, m'ont permis d'être au top sur mon premier marathon (et le premier des conseils c'est d'avoir une totale confiance en soi ;)

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  13. Je l'ai lu le jour où tu l'as publié ce billet, et je le relis maintenant avec les petits frissons en supplément (et je commente après tout le monde). C'est fantastique ce que tu as fait, tu l'as fini en faisant du 13km/h, c'est remarquable. Je sais que tu es excessive et têtue, et tu es une femme de militaire, je me doutais que tu appliquerais tout à la lettre, que tu ne négligerais rien.
    Donc tu n'es pas seulement insolente de santé, je crois que tu es déterminée.

    Je salue aussi ton texte, c'est vraiment très beau ce que tu dis non seulement de la course mais des coureurs, de ceux qui chutent avant, de ceux qui vont au bout et de ceux qui accompagnent aussi.

    Et puis il y a quelque chose de touchant là dedans, à titre personnel je veux dire, car il y a deux ans tu publiais sur le billet sur la grande course, et c'est ce post qui m'a convaincu d'ouvrir un blog, parce que toi, tu peux dire qu'un livre a changé ta vie.
    Voilà, d'une certaine manière, la boucle est bouclée, toujours styliste, mais vraiment pas que...
    Franchement, pas peu fière d'être ta copine, je te le dis.

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  14. J'ai pensé à toi le jour J et j'ai lu avec beaucoup d'émotion ton billet. Félicitations!!! Tu as fait une course incroyable et tu en garderas un souvenir merveilleux!
    Je vais te prendre comme coach pour mon prochain marathon (où j'aimerai faire 5h... ;-)
    Bravo encore!!!

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  15. Bravo Sophie ... pour la course, pour tes mots, pour ta générosité, pour ta personnalité qui donne envie de te connaitre en vraie ;-)

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  16. Très, très émouvant.... Et je viens juste de comprendre la blague du titre!

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