Parce que mes pieds sont têtus.

mercredi 17 août 2016

Une première Alpine avec du monde aux balcons

Ça faisait vingt ans je crois. Vingt longues années. Ou un peu moins. Mais ça faisait trop longtemps.
Je n'y avais plus posé un pied et je regardais de loin les photos des uns, les tracés gps des autres. Et j'avais envie. Très.
Je mélange aujourd'hui les lieux. Mon père nous emmenait marcher. Il me semble que c'était parfois très haut. Ma rétine est définitivement frappée par la lumière dorée badigeonnée des cimes et des miroirs argent de ces lacs d'altitude qui contiennent dans leur éclat toutes les promesses d'une halte salutaire.
J'entends siffler les marmottes. A moins que ce ne soit mon père. Je râle derrière. La chaussure est toujours trop lâche ou trop serrée ou trop petite à moins que ce ne soit le pied. Trop grand. J'ai souvent mal à mon caractère en montant. J'ai 8 ans peut-être. Les chemins sont pointus et les cols toujours trop obtus. Le refuge est là-haut dit mon père. Mais attendez moi ! je lui réponds. Avance et tu verras. Et je vois. Et je me souviens des panoramas. Des volcans de l'Auvergne en passant par la Rhune, d'ossau à Bigorre, du Verdon à la vallée des merveilles, Ventoux, Ecrins, Savoie. Chapelet de cratères enfilés sur la ligne de crêtes, départs dans la nuit. Territoire des Pottok. Percée dans les brumes, la terre du petit matin respire et puis, quand l'opacité se déchire, c'est une infinie palette de verts embrasée d'orange et du feu d'un astre au réveil dont les rayons horizontaux font taire en une éclisse toutes les arrogances des hommes et des bêtes : La force Basque nait au petit jour au sommet de la Rhune.
Les Pyrénées ont du caractère, mais je fus marquée par les Alpes. Mes premiers souvenirs sont à Peisey. Haute Savoie. Mon oncle y est médecin. Mes cousines savent skier avant de marcher, et nous arrivions de la ville, gauches mais émerveillés, par leur vie simple et rude, sans trop savoir si nous les envions. La neige monte jusqu'à la fenêtre de l'étage. Le chien revient de sa maraude, les sommets aveuglent. Je n'ai souvenir que de bleu électrique, de blanc argent et des bégudes percées d'eau claire au bord des chalets sombres.
Je me souviens de l'ombre rouge des roches du Verdon. Du chemin étroit et des échelles que nous empruntions sans filet. De l'eau transparente des mètres en contrebas et des galets ronds qui nous meurtrissaient les fesses à l'heure du casse-croûte, que nous passions alors en baignades frigorifiées et concours de ricochets. La vallée des merveilles est une récréation. La masse sombre de la forêt de mélèzes s'ouvre sur un trésor minéral. Nous jouions à Cromagnon sur cette étendue plate et mystérieuse et nous en revenions toujours les poches pleines de minuscules ammonites et d'opercules fossiles.
Le Ventoux signe mon entrée chez les vrais randonneurs. Je gravis, grave et ravie, seule enfant de l'aventure, le géant de Provence, avec une fierté qui m'émeut encore aujourd'hui. Mon père m'encourage sous l'accablante chaleur et je m'enorgueillis de marcher dans ses pas, consciente du privilège et un peu effrayée par cette immensité minérale d'où émergent, rabougris, des moignons d'arbres desséchés. Du sommet nous longeons la crête, et je crois bien ne plus avoir d'autre conscience à l'arrivée, que ce coin de table ombragé sur lequel se succèdent les meilleurs diabolo-menthe de ma vie et du monde tout entier.
De pâturages en pierrailles, de crêtes en crozets, je fais remonter un chapelet de souvenirs sur le trajet de mes vacances. Stéphane et Gemma m'accueillent. Je vais courir petit, mais courir les Alpes, et je souris devant le couchant des montagnes.
Chateauvieux. Du beau monde aux balcons, si j'en crois mon hôte. L'une des dernières courses du challenge local attire les ambitieux. Les filles sont jeunes et affûtées, coachées par des athlètes, et du premier coup d'oeil je perçois le niveau, aussi élevé que l'altitude au départ, qui ne m'est pas coutumière.
Je suis heureuse d'être des leurs. J'ai quitté ma plaine avec un furieux besoin d'oxygène, et je me gargarise d'air et de sublimes paysages.
Je retrouve Hélène et Julie, qui définitivement et en une accolade, conquièrent la précieuse communauté des purs amis, et puis Fred, alias Gurren, animal végane bipède et roulant déjanté visiblement non carencé dont les vidéo fort bien montées me divertissent autant qu'elles m'interpellent.
Je ne sais pas à quoi m'attendre. Mais j'attends avec plaisir. Le froid matin pique un peu, mais il va faire chaud. Trop. Il est drôle ce pays, où on passe d'hiver à été Austral en une ligne d'horizon débordée du soleil !  
Le départ est corné et on monte sur bitume. Il m'avait semblé que ce n'était pas prévu. Mais j'accroche, pas mal placée devant, jusqu'à ce que la tête se décroche, et qu'en une clameur déboule sur l'arrière déboussolé. 2 km 600 de côte. Faux départ, vraie suée, mais le peloton se marre et redescend de bonne grâce. Le ton est donné : décontraction !
Les marnes. Masses anthracites. Elles craquellent sous la chaleur et ruissellent en schiste noir, formant des monts, des ravines et des crêtes instables et arides. Le train serré du départ soulève la poussière grise. Je mets un peu de temps à m'accoutumer, calant mon souffle sur un cardio un peu plus élevé que d'habitude : L'altitude a fait légèrement bouger l'horloge cardiaque.
De là haut, la vue est grandiose ! Le tracé offre un panoramique de choix. Céüze, pic de bure et vieux Chaillol exposent leurs reliefs sur une plaine verdoyante semée de taches bleues. Je me raisonne pour ne pas me retourner sur chaque trouée et me cramponne au terrain cabossé.
Dans une montée, Fred me rattrape et fait l'article. Les nombreuses pentes nous mouchent et les sous-bois rafraîchissent. La chaleur terrasse les organismes et nous faisons provision d'ombre en silence en prévision du retour dans les marnes. Je me retrouve seule au 15 ème. Revigorée par un ravitaillement prolongé. Je prends de l'assurance. Les descentes esquintent et vrillent les appuis. Je m'amuse des improbables montées à flan de collines limoneuses du haut desquelles bénévoles et photographes hilares accueillent le coureur plus égayé au fond qu'abattu, à mesure qu'approche l'écurie, et l'ultime morceau de route, bien que légèrement montant, me permet de finir presque fraiche dans un semblant d'élan gagnant.
Je prends mon temps, profite de l'ambiance amicale et de ce joyeux brouhaha à l'accent déjà chantant de cette presque Provence. File me rafraichir à la douche installée sur la place, reviens guillerette accueillir les amis et taper la causette et puis j'entends mon nom, appelé du podium, surprise vraiment de me retrouver ici, 6 ème des féminines et félicitée par catégorie.
J'ai couru les Alpes en cette mi aout. Oh, pas bien haut c'est vrai. Et puis pas bien grand. Mais je soupire les yeux plantés dans les aiguilles, et il me semble, sur le chemin du retour, que la montagne me sourit.

M.E.R.C.I Stéphane et Gemma !

4 commentaires:

  1. Joli récit... Ayant grandi à gap, tes souvenirs me parlent aussi... :-)

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  2. Tes textes deviennent de plus en plus jolis au fur et à mesure de tes exploits ! Merci pour ce partage, je me suis régalée.

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